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vengerait, et de ce jour datèrent pour l’Écosse les premiers efforts de la liberté. Il se jette dans les montagnes, d’où il fond sur l’ennemi à chaque instant, à l’improviste, comme un oiseau de proie; il leur prend victime pour victime, sang pour sang. Plus les Anglais sont cruels, plus la vengeance est inflexible. Après avoir touché au succès, Wallace fut trahi par une partie des siens; il fut livré aux Anglais. Suivant une tradition du pays, le signal convenu pour se jeter sur lui fut de retourner un pain sur la table, en sorte que le côté plat fût par-dessus. Cette vie d’aventures et de combats, cette fin mélancolique, ressemblent assez à la vie et à la fin du bandit anglais. Robin Hood combattait sans doute un peu pour la même cause, la liberté, contre les mêmes ennemis, les lords d’Angleterre. Il mourut, ayant eu la veine coupée par une parente qu’il avait priée de le saigner. Quel que soit ce Robin Hood que nous connaissons si mal, il y avait entre les deux proscrits cette différence considérable : l’un avait derrière lui toute une nation, il est manifeste que l’autre n’avait qu’une bande; mais cette différence n’a pas fait illusion aux chroniqueurs écossais : ils ont fait place à Robin Hood dans leurs chroniques, et ils en ont parlé non sans quelque complaisance. De quelque manière qu’on s’explique ce silence absolu d’un côté, cette attention de l’autre, il n’en demeure pas moins singulier que nous soyons réduits à faire l’histoire d’un proscrit anglais si célèbre avec des fragmens de chroniques écossaises.

On nous permettra de négliger une mention qui est faite de Robin Hood en tête d’un poème latin de 1304. Il suffit de rapporter les deux textes historiques auxquels nous devons de pouvoir rendre au célèbre bandit une existence réelle : ce sont de bien faibles débris, ce sont des miettes historiques; mais on est forcé de s’en contenter.

Le premier chroniqueur qui ait parlé de Robin Hood est Jean Fordun, auteur du Scotichronicon. Prêtre d’Aberdeen, qui aimait l’histoire et les lettres, curieux des antiquités et des souvenirs historiques, beaucoup plus qu’on n’avait accoutumé d’être à cette époque; ayant fait des voyages en Angleterre et consulté les monumens, les inscriptions, les bibliothèques, les traditions populaires; écrivant le latin avec assez d’élégance pour le XIVe siècle, tel est le personnage qui nous a laissé ces lignes sur Robin Hood : « Dans ce temps, parmi ceux qui furent dépossédés et bannis, on vit s’élever et se rendre menaçans ces fameux brigands Robert Hood et Littill John, avec leurs complices, que le vulgaire ignorant célèbre avec tant d’admiration et d’avidité dans des comédies et des tragédies, et dont il aime à entendre répéter les chansons par les jongleurs et les ménestrels plutôt que tout autre roman. On raconte pourtant de cet homme quelques traits recommandables comme le suivant. Étant un jour à Barnesdale, où il fuyait la colère du roi et la fureur du prince, il entendait très dévotement la messe suivant sa coutume, et rien ne pouvait le déterminer à interrompre l’office. Comme un certain vicomte et des officiers du roi qui l’avaient souvent poursuivi le cherchaient dans la solitude où il assistait à la messe, au fond des bois, ceux de ses gens qui en eurent avis, venant le trouver, lui conseillèrent de prendre au plus tôt la fuite. Par révérence pour le sacrement qu’il adorait alors avec une profonde dévotion, il s’y refusa complètement. Tandis que ses autres hommes étaient agités par la crainte de la mort, Robert, se confiant en celui qu’il avait adoré.