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accompagné du petit nombre de ceux qui étaient demeurés à ses côtés, en vint aux mains avec ses ennemis, les vainquit sans peine, et, enrichi de leurs dépouilles et de leurs rançons, il résolut désormais de tenir en un respect plus grand encore les ministres de l’église et la messe, ayant toujours présent à l’esprit ce dicton populaire : — Il est exaucé de Dieu, celui qui entend souvent la messe. »

Le second historien qui parle de Robin Hood est Bower, abbé de Saint-Columb, continuateur de Fordun; il ajoute ces lignes au récit de son maître : « En cette année encore (1266), les barons dépossédés d’Angleterre et les barons royaux exercèrent de grands brigandages, grassati sunt acrius, parmi lesquels Roger de Mortimer occupait les marches du pays de Galles, et John Daynill, l’île d’Ely. Robert Hood vivait alors comme un outlaw (proscrit) dans les bois et les forêts les plus épaisses. »

Ce témoignage confirme entièrement le premier. Voilà bien Robin Hood à sa place dans l’histoire, avec un rôle politique, et combattant pour une cause bien déterminée. Ces témoignages sont fort peu de chose sans doute ; cependant, si les ballades n’existaient pas, si nous n’avions que cette page curieuse sur un personnage si singulier, l’histoire ne dédaignerait pas encore de lui consacrer un souvenir. Aujourd’hui qu’elle s’efforce de faire revivre l’esprit des temps, les mœurs et le caractère des peuples, elle n’aurait garde d’oublier un nom qui a surnagé parmi les tempêtes et les naufrages du passé. En l’absence de tout autre témoignage, elle ajouterait cette physionomie originale, même dans son obscurité, au tableau qu’elle voudrait faire de cette époque; elle lui ferait sa place dans le mouvement général. C’est ce que nous voudrions essayer en quelques paroles en nous servant de tous les moyens qui sont à notre disposition, excepté des chants relatifs à notre héros. En un mot, tâchons de nous figurer le Robin Hood historique comme s’il n’y avait pas de ballades de Robin Hood.

Il ne saurait être bien difficile d’indiquer aujourd’hui les principaux traits de la lutte où les historiens ont placé Robin Hood : nous avons pour guide l’admirable Histoire de la Conquête de l’Angleterre. Sur les événemens généraux, nous ne ferons en quelque sorte que suivre, interpréter et développer la pensée de M. Thierry. Si nous modifions un peu son système sur le sujet particulier de Robin Hood, c’est encore à lui que nous en emprunterons les moyens.

Selon toute apparence, la haine entre les Saxons et les Normands d’Angleterre était en voie de s’effacer deux siècles après la conquête. Deux peuples, seraient-ils aussi grands ennemis que maîtres et esclaves peuvent l’être entre eux, ne vivent pas impunément côte à côte; il arrive à la un que l’un extermine l’autre, ou qu’ils finissent par s’unir et s’absorber réciproquement. Des luttes nouvelles peuvent se reproduire, vague ressentiment des luttes primitives; mais l’ancienne querelle s’oublie, et les haines du présent effacent celles du passé. Les successeurs de Guillaume le Bâtard héritèrent non-seulement de sa conquête, mais des nécessités de sa position. Rois étrangers, campés dans un royaume conquis, ils eurent tous une pente naturelle à se confier dans des amis étrangers comme eux. Ce fut la faute presque inévitable des deux dynasties normande et angevine. Comme il suffisait de n’être pas