Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute sorte occupèrent les marécages de l’ouest, les montagnes du pays gallois, les forêts du Yorkshire. Il fallait des troupes réglées, des ressources nombreuses, pour tenir dans des châteaux et dans un camp fortifié. Telles furent les positions occupées par les barons qui ne voulurent pas rentrer en grâce. À côté de ces barons toutefois, il y avait, parmi les soldats de la cause nationale, des hommes libres, d’une condition inférieure, ceux que la vengeance royale privait de leurs champs ou de leur maison. Parmi ces dépossédés et ces bannis, exheredati et banniti, il se trouva un homme qui sut s’élever au-dessus de tous. Avait-il combattu à Lewes, à Evesham ? L’histoire ne le dit pas. Était-il proscrit pour quelque faute particulière ? La tradition pourrait le faire croire, mais les historiens gardent là-dessus le silence. Il paraît seulement certain que cet homme dont le nom indique l’origine saxonne et la condition modeste, se mit à la tête d’un certain nombre de proscrits, surrexit et caput erexit ; que, secondé par quelques amis, parmi lesquels il comptait surtout un certain Little John, nom essentiellement populaire, il choisit pour séjour les forêts, fruteta et dumeta sylvestria, abri naturel des faibles, de ceux qui n’ont pas d’armées ni de vassaux pour se défendre, mais qui résistent par une association où le chef n’est que le premier entre ses égaux. Cet homme extraordinaire a reçu de l’histoire le nom de brigand, sicarius, peut-être parce qu’il n’était pas baron, et qu’il n’avait pas de vassaux pour faire la guerre dans les règles ; mais il avait quelques vertus, quelques traits d’un noble caractère, et un historien étranger, qui n’a pas de motif pour n’être pas impartial, n’a pas craint de nous les faire connaître. Il avait une dévotion ardente et naïve. Sans doute il pouvait nourrir quelque haine contre certains membres du clergé, qui avaient pris le parti du plus fort ; mais il avait une confiance entière en Dieu, et il bravait les plus grands dangers pour assister à la messe. La forêt du pays de Barnsdale était souvent sa retraite. C’est un pays qui s’étend dans la largeur de quatre ou cinq milles au sud du West-Riding, entre la rivière de Went et la ville de Doncaster, aujourd’hui cultivé, mais qui était encore couvert de bois du temps de Henri VIII. Une voie romaine qui le traverse du sud au nord fut peut-être souvent le théâtre de ses combats ou de ses vengeances. C’était un mauvais passage pour certains voyageurs au XIIIe siècle. Nous savons que la dernière année d’Édouard Ier, les évêques de Saint-Andrew et de Glasgow et l’abbé de Scone, ayant été mandés à Winchester par le roi, furent escortés par vingt archers dans cette forêt redoutable, et ce surcroît de dépense est justifié dans les comptes du roi par ces deux mots : A cause de Barnsdale, propter Barnesdale[1]. Le vaillant proscrit fut même assez redoutable pour exciter la colère du roi Henri III et de son fils Édouard, iram regis et fremitum principis ; il fut long-temps poursuivi par un vicomte dont l’historien oublie peut-être le nom et par d’autres officiers du roi, a quodam vicecomite et ministris régis.

Cependant la lutte finissait peu à peu sur tous les points. Des partisans de Simon de Montfort s’étaient retirés dans les marécages d’Axholm, sur les bords de la Trent, à l’est et tout près du pays de Barnsdale. Le prince

  1. Hunter’s The Great hero of ancient minstrelsy, etc., p. 14.