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chercha pas à la comprendre. Sa vie extérieure fut simple et douce. En France, où toute vocation exceptionnelle consacrée aux choses divines est mise hors du droit commun et implique le célibat, ce serait un spectacle étrange que celui d’un apôtre, d’un saint, vivant de la vie de tout le monde : l’empire de la vulgarité est si fort parmi nous qu’aucune jeune fille n’eût consenti à épouser Channing. — Nul incident ne traversa cette calme et sereine existence. L’optimisme infatigable qui fut toute sa religion ne l’abandonna pas un moment. « La terre, disait-il, devient plus jeune avec les années, l’homme meilleur en vieillissant. » Dans le dernier été qu’il passa sur la terre, on se demandait en sa présence à quel âge on devait placer la période la plus heureuse de la vie; il sourit et répondit que c’était à environ soixante ans! Il avait cet âge alors. Il mourut peu après, en octobre 1842, sans douleur ni tristesse, au coucher du soleil, heure qu’il avait toujours aimée et qu’il fêtait comme sacrée. Il avouait lui-même qu’en avançant dans la vie il avait été de plus en plus heureux. « La vie, écrivait-il, me paraît un don qui acquiert chaque jour une plus grande valeur. Je n’ai pas trouvé que ce fût une coupe écumeuse et pétillante à la surface, mais devenant insipide à mesure qu’on l’épuisé. En vérité je déteste cette comparaison surannée... La vie est une bénédiction pour nous. Si je pouvais voir les autres aussi heureux que je le suis moi-même, quel monde serait le nôtre! Mais ce monde est bon, malgré l’obscurité qui l’entoure. Plus je vis, plus je vois la lumière percer à travers les nuages. Je suis sûr que le soleil est au-dessus. »


II.

Ce fut sans préméditation que Channing devint écrivain. Ses ouvrages ne témoignent aucune prétention littéraire; il n’en est pas un seul où se remarque la moindre préoccupation de composition et de style. Channing est un ministre évangélique et un prédicateur : ses œuvres ne sont que des sermons, des lettres spirituelles, ou des articles insérés dans un journal religieux, le Christian Examineur L’idée d’écrire un livre ne lui vint qu’assez tard, et heureusement il ne la réalisa pas. Le plan de ce livre n’était ni neuf ni original. C’eût été un essay comme tant d’autres, sur l’homme et la nature humaine, le thème perpétuel de la philosophie anglo-écossaise. Je suis bien porté à croire que l’essai de Channing n’eût pas fait exception à l’ennui de ces sortes de livres, excellens sans doute pour certains degrés de culture intellectuelle, mais qui n’apprennent rien, et ont bien peu de valeur depuis que l’histoire et les considérations