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doit être préférée ? Tout point d’arrêt dans le rationalisme est arbitraire. Le fait de cette révélation, que l’on suppose tout d’abord comme démontré, n’est-il pas d’ailleurs le point essentiel qu’il faudrait établir ? Et avec les exigences de la critique moderne, on ne peut pas dire que ce soit là chose facile. On se trouve donc ramené à la diversité des opinions, à laquelle on voulait remédier par l’hypothèse d’une révélation. Or si l’on suppose qu’il y a une formule absolue de la vérité, comment espérer qu’on puisse y arriver par des efforts individuels ? Comment pousser la confiance dans son propre jugement au point de s’attribuer l’infaillibilité et de croire qu’on trouvera le point fixe que personne n’a encore rencontré jusqu’ici ?

Je n’ignore pas que j’adresse ici à Channing l’objection que les théologiens catholiques adressent au protestantisme en général. C’est qu’en effet l’argumentation des controversistes catholiques sur ce point m’a toujours paru sans réplique. Quand le protestantisme n’aboutit pas à un christianisme purement rationnel, il me semble inconséquent. Que cette inconséquence soit excusable et souvent honorable, je suis le premier à le reconnaître; mais il faut avouer que si le protestantisme n’aspire qu’à remplacer un ensemble de croyances dogmatiques par un autre, il n’a plus de raison d’être : le catholicisme alors vaut bien mieux que lui. Faute de rigueur d’esprit, Channing n’arriva jamais, sur ce point, à une formule claire de sa propre pensée. Si d’une part il prêche la plus entière liberté de symbole, de l’autre il s’arrête bien en-deçà de la critique pure. S’il s’élève avec énergie contre l’église établie, il ne renonce nullement à l’espoir de trouver la forme véritable de la doctrine évangélique. S’il ordonne de chercher par soi-même, il n’imagine pas qu’on puisse être porté par la recherche indépendante hors du christianisme. Et pourtant, si l’on admet la réalité d’une révélation faite à un certain moment de l’histoire, si l’on admet des vérités divinement manifestées, et s’imposant par conséquent à la conscience de celui qui les croit révélées, quelle difficulté y a-t-il à reconnaître un établissement extérieur, une église enseignant avec des lumières surnaturelles ? Un miracle arrivé il y a dix-huit cents ans n’est ni plus facile ni plus difficile à admettre qu’un miracle qui se continuerait de nos jours. Le catholique a quelque droit de dire à Channing : « Vous n’êtes pas plus libre que moi, et vous obéissez à une autorité bien moins claire : vous obéissez à la Bible; moi, j’obéis à l’église. » J’avoue que, pour ma part, j’accepterais plus volontiers l’autorité de l’église que celle de la Bible. L’église est plus humaine, plus vivante; quelque immuable qu’on la suppose, elle se plie mieux aux besoins de chaque époque. Il est, si j’ose le dire, plus facile de lui faire entendre raison qu’à un livre clos depuis dix-huit siècles.