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encore tarie. J’ose dire que, pour le peuple, la lecture de la Bible est peu profitable et même dangereuse. C’est au moins un triste spectacle que celui d’une nation intelligente passant son temps à lire un monument d’un autre âge et cherchant tout le jour des symboles dans un livre où il n’y en a pas.

Les efforts de Channing pour échapper à cette pression de la Bible l’amènent parfois à de singulières subtilités. L’enfer, tel que l’a entendu l’orthodoxie, répugne à sa mansuétude. L’enfer pour lui n’est que dans la conscience, de même que le ciel n’a rien de local et n’est autre chose que l’union avec Dieu et avec tous les êtres bons et grands. Je le veux bien; mais quelle puérilité de se mettre à compter combien de fois l’enfer est nommé dans la Bible, de remarquer avec satisfaction qu’il ne l’est que cinq ou six fois, et que même une bonne traduction trouverait moyen de se débarrasser de ce mot désagréable! Il n’y a pas d’à peu près pour le Saint-Esprit : ce qui est révélé l’est tout à fait ou ne l’est pas. — En histoire, ce sont les mêmes contre-sens. Channing est amené à se faire un christianisme primitif tout idéal auquel il ne s’agirait que de revenir. « La religion, dit-il, qui fut donnée pour élever l’homme, on s’en est servi pour le rendre abject. La religion qui fut donnée pour créer en nous une généreuse espérance, on en a fait un instrument d’intimidation servile et de tortures. La religion révélée de Dieu pour enrichir l’âme humaine a été employée à la renfermer dans l’étroite enceinte d’une secte, à fonder l’inquisition, à allumer les bûchers des martyrs. La religion donnée pour rendre libres l’intelligence et la conscience a servi, par une criminelle perversion, à les briser l’une et l’autre pour les soumettre aux prêtres, aux symboles purement humains. » Cette théorie protestante d’un âge d’or du christianisme, suivi d’un âge de fer où la pensée primitive se serait obscurcie, est inacceptable. Le christianisme n’a jamais été ni si parfait que les protestans le supposent à l’origine, ni si dégradé qu’ils le font à son déclin. Il n’y a aucun siècle de sa longue carrière qui puisse être pris comme l’idéal, comme il n’en est aucun où il ait précisément manqué à sa mission. Une histoire critique des origines du christianisme montrerait les singulières illusions que l’on se fait sur cet âge primitif, encore si peu connu, parce qu’on ne l’a guère étudié qu’avec un parti pris et avec l’intention d’y chercher des argumens pour ou contre des dogmes dont le germe était dès lors à peine entrevu.

En général il a manqué à Channing ce qui manque à l’Amérique, la haute culture intellectuelle, la finesse, la grande science critique. Il n’est pas parfaitement au courant des choses de l’esprit humain; il ne sait pas tout ce qu’on sait de son temps, quant au résultat général. Comme religion de l’esprit, sa religion ne vaut pas celle