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des enfans. L’enfant a besoin de s’accorder avec nous ; il est triste quand nous sommes tristes, gai quand nous sommes de bonne humeur. Ce n’est pas seulement chez l’enfant la faculté de l’imitation qui fait qu’il se règle ainsi sur nous. Il nous imite, il est vrai, mais il nous ressent, si je puis ainsi parler, encore plus qu’il ne nous imite. Si la mère pleure, l’enfant pleure aussi. Est-ce un simple besoin d’imitation ? Non, il ressent le chagrin de sa mère sans en savoir la cause. Mme Necker-Saussure croit, et je crois avec elle, que l’enfant a des affections avant d’avoir des idées, et que le cœur s’éveille dans l’homme avant l’intelligence. S’il en est ainsi, que penser d’une éducation qui négligerait dans l’enfant tout ce qui est sentiment pour s’attacher uniquement à ce qui est sensation, qui des deux parts de l’homme oublierait systématiquement la meilleure, et qui laisserait volontairement en friche ce coin de terre promise que nous avons tous en nous pour ne cultiver qu’un sol médiocre et grossier ? Je reviendrai plus tard, dites-vous, vers ce coin de l’Éden. — Oui ! mais l’Éden alors sera peut-être couvert de ronces, et cette terre vigoureuse, laissée à sa fécondité naturelle, aura pris la mauvaise végétation pour la bonne ; vous aurez à extirper l’ivraie avant de pouvoir semer le froment.

La sensibilité des enfans, et je dirais volontiers l’aimable docilité de leur cœur, est une grande prise que nous avons sur eux ; il ne faut pas la négliger, il ne faut pas non plus en abuser, car cette sensibilité a sa portée ; elle n’est que celle d’un enfant, et par conséquent courte et limitée. Nous nous trompons souvent sur ce point. Ayant reconnu que les enfans ont de la sympathie et qu’ils ressentent ce que nous ressentons, nous en concluons à tort qu’ils ont toute la sensibilité d’un homme, et qu’on peut se servir de cette sensibilité comme d’un ressort dans l’éducation ; mais en nous servant trop du ressort, nous le forçons. Que de parens qui, lorsque l’enfant a mal fait, lui disent d’un air affligé : Vous me faites de la peine, mon enfant ! Et comme la première fois le moyen a réussi parce que l’enfant a vu que sa mère en lui parlant avait l’air sérieux et triste, et qu’il a ressenti l’émotion qu’il croyait voir à sa mère, les parens triomphent et disent qu’avec les enfans bien nés (et quels parens n’ont pas des enfans bien nés ?) il suffit de s’adresser à la sensibilité pour empêcher ou corriger le mal. Qu’ils y prennent garde ; quand ils disent à l’enfant, chaque fois qu’il fait une faute : Vous m’affligez, — l’enfant s’aperçoit que cette affliction est une manière de le gronder, et que ses parens prennent cet air grave et triste quand ils le veulent. Alors sa sympathie s’arrête, il ne ressent plus un chagrin dont on veut lui faire un châtiment. Il aurait pleuré si vous l’aviez grondé, parce qu’alors ce lui aurait été un chagrin d’être grondé. Il ne pleure plus