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il y a dans les événemens ordinaires de la vie de quoi développer suffisamment la sensibilité de l’enfant. Les coups que la mort et la fortune frappent dans la famille, voilà d’inévitables occasions qui excitent la sensibilité de l’enfant sans la forcer. Voilà les momens où il ressent les chagrins du père et de la mère, où il tâche de les consoler par ses caresses, parce qu’il comprend que ses parens souffrent véritablement, et que, sans savoir la cause de leurs souffrances, il en voit et il en sent l’effet. Même dans ces tristes occasions, ne cherchez pas à trop vous consoler en partageant votre douleur avec vos enfans ; épargnez-leur encore l’apprentissage de la douleur humaine ; laissez-leur la douleur enfantine. C’est par leur douce et gracieuse présence qu’ils doivent vous consoler ; ce n’est point par leurs larmes. Surtout contentez-vous de ces inévitables initiations à la douleur que Dieu ménage aux enfans de toutes les familles, aux enfans des rois comme à ceux des pauvres, et n’allez pas, pour exciter la sensibilité des enfans, inventer des épreuves morales. Ne cherchez point à développer plus vite et plus fort que ne le veut la nature ou la sensibilité — l’activité ou la moralité de l’enfant par des scènes inventées à plaisir. Le XVIIIe siècle aimait fort ces petits drames d’éducation qui se jouent autour de l’enfant, où tout le monde prend un rôle, le jardinier, le valet de chambre, le précepteur, et où l’enfant en a un lui-même sans le savoir (et Dieu veuille qu’il ne le sache jamais !). Il y a de ces scènes dans l’Émile, il y en a encore plus dans Adèle et Théodore, de Mme de Genlis, qui les défend comme utiles dans l’éducation. « Vous ne sauriez croire, dit la mère d’Adèle et de Théodore, écrivant à une de ses amies, vous ne sauriez croire combien cette manière de donner des leçons est amusante ; au lieu de ces froids sermons, si ennuyeux à répéter et à entendre, et qui fatiguent également les instituteurs et les élèves, nous avons le plaisir d’inventer de jolis plans que nous mettons en action, et de faire jouer les principaux acteurs, sans qu’ils aient la peine d’apprendre leurs rôles. Et je vous assure que ces petites comédies, qui durent souvent dix ou douze jours, ont pour nous un intérêt et nous procurent un plaisir dont vous ne pouvez vous faire une idée[1]. » Je ne sais pas si ces scènes amusent les parens. qui les jouent, mais elles risquent d’énerver les enfans, s’ils les prennent pour vraies, et de fausser pour longtemps leur jugement, s’ils s’aperçoivent que ce sont de petites comédies.

Rien n’est beau que le vrai ; le vrai seul est aimable.

Cette maxime est de mise dans l’éducation encore plus que dans la

  1. Adèle et Théodore, t. II, p. 102.