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passerez de Domitien à Commode ; vous n’aurez ni Nerva, ni Trajan, ni Adrien, ni Antonin, ni Marc-Aurèle. Qu’y aura gagné le monde ?

Otez des âmes du XVIIIe siècle ce doute dans l’incrédulité que Rousseau y a déposé par sa profession de foi, laissez l’impiété sans contradiction ; croyez-vous que les âmes seront mieux préparées à la réforme morale et religieuse que notre siècle a sans cesse essayée et qu’il a souvent réussi à faire ? Comme il a plu à Dieu de ne point faire de miracles pour rappeler les hommes à la foi chrétienne, comme il a voulu que cette régénération se fit par les voies humaines, par l’ébranlement des consciences, par le regret des erreurs, par le retour progressif à la vérité chrétienne, tout a concouru à ce grand travail : l’horreur de la persécution révolutionnaire, le sang des martyrs chrétiens, les doutes précurseurs du vicaire savoyard, la vénération pour l’Évangile, vénération salutaire qui mène à la foi, quoiqu’elle n’y arrive pas elle-même. À Dieu ne plaise que je fasse un chrétien du vicaire savoyard ! j’ai horreur de ces travestissemens ; mais j’ose dire qu’entre les hommes de son temps, le vicaire a un grand mérite, ils ne sont plus chrétiens ; le vicaire, au contraire, ne l’est pas encore ; il est du côté de l’avenir au lieu d’être du côté du passé. Ah ! si vous prenez la foi chrétienne pour le but que veut atteindre le vicaire, il en est loin, bien loin ; mais si vous prenez l’impiété et l’athéisme pour point de départ, il en est plus loin encore, car il s’en éloigne. Tout est là. Ne mesurez pas les distances, voyez les intentions ; il n’y a de loin de la religion que ceux qui s’en éloignent ; tous ceux qui s’en rapprochent en sont près, à quelque distance qu’ils soient encore du but. Le vicaire est-il de ceux qui s’éloignent ou de ceux qui se rapprochent ? Voilà la question, et cette question nous amène naturellement à la seconde partie de la profession de foi du vicaire, car c’est dans cette seconde partie que Rousseau essaie de déterminer à quelle distance il veut rester du christianisme.

Fénelon disait que les apologistes de la religion devaient s’appliquer d’abord à convertir les athées en déistes, puis les déistes en chrétiens, et enfin les chrétiens en catholiques. Rousseau a suivi cette méthode jusqu’au premier degré. Il a dans la première partie de la profession de foi du vicaire fait de l’athée un déiste. Ira-t-il plus loin ? Le déiste deviendra-t-il chrétien ? Voilà ce qui fait l’intérêt de la seconde partie de la profession.


IV.

Il y a dans cette seconde partie deux points importans que je veux traiter rapidement : — les doutes en faveur du christianisme, — les doutes contre le christianisme.