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LE
GOUFFRE-GOURMAND


RÉMINISCENCES DE LA VIE RÉELLE.[1]


Séparateur


I.

Vuillafans est une jolie bourgade de douze ou quinze cents habitans, qui se trouve dans la vallée de la Loue, entre Besançon et Pontarlier, à une forte lieue en amont d’Ornans. Les deux moitiés du village sont unies, d’un côté à l’autre de la rivière, par un vieux pont de pierre où s’élève une croix au pied de laquelle on n’a qu’à pivoter sur soi-même pour embrasser du regard un joli panorama, bien qu’on soit pourtant là au fond d’une étroite vallée. Du côté exposé au midi, tous les versans des collines sont drapés de vignes qui ne s’y maintiennent que grâce à des murs de soutènement hissés les uns sur les autres, comme les marches d’un escalier. La vigne ne demanderait pas mieux sans doute que de grimper jusqu’au-dessus de ces versans, mais elle est arrêtée aux deux tiers de son ascension par un énorme banc de rochers à couche uniforme et à coupe verticale, qui se continue ainsi depuis la source de la Loue, distante de trois lieues, jusqu’au-dessous d’Ornans. Au-delà

  1. La forme donnée à ce récit indique assez quelle a été l’intention de l’auteur. Il s’agit moins ici d’un roman que d’une sorte de confession, telle qu’on peut l’imaginer sortant de la bouche d’un simple artisan, à une de ces heures de recueillement et de retour vers le passé, comme il s’en trouve dans les plus humbles existences. Par là s’expliquent quelques développemens que le cadre d’une composition plus strictement romanesque eût exclus peut-être, mais qui ont leur place dans un ensemble d’impressions et de confidences familières tel que celui-ci.