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l’auditoire que le mot semblait dur. Bon, me dis-je, j’aurai des lettres demain. Elles ne manquèrent pas, quelques-unes spirituelles, d’autres déclamatoires, presque toutes se ressentant de l’agitation qui régnait encore à ce moment dans les esprits ; c’était en 1851. Je ne reculai pas, et c’est ainsi que la question du poul Serrho ou de la nécessité des croyances surnaturelles fut débattue plus longtemps que je n’avais voulu le faire.

— Prenez garde, disais-je aux adversaires du poul Serrho ou des croyances surnaturelles, plus il y a de scrupules dans une société, moins il y a besoin de gendarmes, et, par contre, tout ce que vous ôtez à la conscience, vous le donnez à la police. Il faut une règle et un ordre dans une société. Toute la question est de savoir d’où viendra cette règle et cet ordre : de la conscience ou de la force ? Je ne déteste pas le gendarme, je l’estime même fort ; mais enfin il représente la force dans la société. Je n’admire pas toujours le prêtre, je puis même le blâmer parfois ; mais enfin il représente la conscience dans la société. Il n’y a des églises et des prêtres que parce que l’homme a autre chose qu’un corps, parce qu’il a des idées morales. Il n’y a une force publique et des gendarmes que parce que les idées morales ne suffisent pas à maintenir l’ordre dans la société. Cette distinction entre la conscience et la force, entre la peur du péché et la peur du châtiment, est vieille comme le monde. Quand Démosthènes gourmandait l’indolence des Athéniens, il leur disait aussi qu’il y avait dans ce monde deux nécessités, celle des hommes libres et celle des esclaves : la nécessité des hommes libres, c’est la nécessité de l’honneur, du courage, de l’amour de la patrie. « Obéissez à cette noble et sainte nécessité, disait l’orateur, sans quoi vous obéirez à la nécessité des esclaves, c’est-à-dire à celle des coups et des mauvais traitemens ; car Philippe vous battra et vous dépouillera comme des esclaves si vous ne vous défendez pas comme des hommes libres. » Ces deux nécessités, celle d’obéir à la conscience et à l’honneur et celle d’obéir à la force, seront toujours dans le monde. Laquelle devons-nous choisir. Prendrons-nous pour règle le scrupule ou le châtiment ? Toute la question est là : d’un côté la conscience ou le prêtre, de l’autre la force ou le gendarme.

Deux cités se partagent le monde et ont chacune leurs formes de gouvernement, la cité de Dieu et la cité des hommes, la cité de l’âme et la cité du corps, la cité qui se gouverne par le scrupule et celle qui se gouverne par la force. Quant à moi, entre ces deux cités, mon choix est fait, quand même devrait dégénérer un jour celle que je choisis. J’aime mieux le gouvernement qui s’adresse à mon âme que celui qui s’adresse à mon corps ; j’aime mieux celui qui veut me persuader, dût-il mal me guider, que celui qui me