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ans lorsqu’il la conçut et l’exécuta. Or, de l’avis unanime de tous les hommes compétens, ce tableau est le plus pur, le plus élégant, le plus sévère qu’il ait jamais signé de son nom, et pourtant il ne jouit pas de la même célébrité que la Nuit. Il y a dans la Vierge au saint Antoine une précision de contours, une majesté d’attitude que l’auteur n’a jamais surpassées, je pourrais dire qu’il n’a jamais retrouvées. Je reconnais volontiers toute l’excellence de ce morceau ; cependant je ne voudrais pas placer toutes les œuvres postérieures d’Antonio au-dessous de cet admirable poème. S’il n’a pas retrouvé, je n’hésite pas à le déclarer, la pureté qui nous ravit dans la Vierge au saint Antoine, il a montré des qualités que ce tableau ne révélait pas, une tendresse que Raphaël n’avait pas connue, que Léonard avait indiquée sans la manifester pleinement. C’en est assez pour ne pas voir dans les œuvres postérieures à 1512 un signe de décadence. C’est en pareille occasion surtout qu’il faut se défier de l’opinion des puristes. Trop souvent en effet les hommes d’un goût éclairé se laissent entraîner à proscrire des œuvres d’une incontestable valeur au nom d’un type absolu dont ils ne veulent pas s’écarter. C’est ce qui est arrivé pour la Vierge au saint Antoine, dont le mérite défie d’ailleurs toute discussion.

On a dit, et je transcris exactement une opinion accréditée, que le Corrège eût été plus grand, qu’il occuperait dans l’histoire de son art un rang plus élevé, s’il fût demeuré fidèle au style de ce tableau. Pour ma part, je n’en crois rien. Tout en reconnaissant, tout en proclamant l’élégance et la pureté de cette composition, je suis forcé d’avouer qu’elle tient à la fois de Mantegna et de Léonard, c’est-à-dire qu’elle n’appartient pas en propre à Antonio. Or, pour signifier quelque chose dans l’histoire, il. faut avant tout être soi-même, vivre d’une vie individuelle, se manifester sous une forme nouvelle, et ces conditions ne se trouvent pas réalisées dans la Vierge au saint Antoine. Quant à la Vierge au saint George, il faut en parler en d’autres termes. C’est une œuvre savante, une œuvre pure, une œuvre originale. Si le souvenir de Mantegna et de Léonard s’y fait encore sentir, il y règne cependant une indépendance de manière qui frappe tous les yeux. À ce tableau se rattache une touchante légende dont je n’entends pas garantir l’authenticité, mais que j’ai plaisir à rappeler, parce qu’elle s’accorde merveilleusement avec le caractère de la composition. On assure qu’une jeune femme, se promenant un jour dans un jardin avec Antonio, lui offrit une rose en lui disant : « Vous avez beau faire; malgré tout votre talent, vous ne concevrez jamais une composition aussi fraîche que cette fleur. » Antonio se piqua au jeu, et composa la Vierge au saint George. Si l’on veut tenir compte de la légende en examinant ce tableau, on y trouve la tige, le calice et la corolle. La Vierge, placée