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suffisamment la donnée première par des incidens de rhythme et de modulation Nous ferons aussi remarquer à M. Prosper Pascal que dans l’accompagnement de ce quatuor, comme dans son ouverture, il affecte d’isoler les instrumens à cordes des instrumens à vent. Son orchestre se trouve ainsi coupé en deux tronçons, et manque par conséquent de corps et d’homogénéité Le duo entre la baronne et son amant est encore de la même couleur élégiaque et se prolonge plus qu’on ne voudrait. Nous sommes de l’avis du public, qui préfère à ce duo langoureux celui pour soprano et basse entre le jardinier et la soubrette. Il est vif, d’une mélodie élégante et facile, bien rhythmé et parfaitement approprié à la situation des deux personnages. N’oublions pas de signaler encore dans cette partition le récitatif mesuré que chante le pauvre fou au milieu des éclairs et de l’orage. Il y a là quelques détails d’un style vraiment élevé. En somme, le début de M. Prosper Pascal est des plus heureux, et le jeune compositeur doit être d’autant plus fier de son succès qu’il est de bon aloi et pur de tout alliage, ce qui n’est pas un mince éloge par le temps qui court. M. Prosper Pascal, qui porte peut-être dans ses veines quelques gouttes du sang de l’immortel auteur des Provinciales, est élève de M. Maleden, homme modeste, érudit, scrutateur patient des secrets de l’art et l’un des bons professeurs d’harmonie et de composition qu’il y ait à Paris. Nous sommes heureux, pour notre part, d’avoir à constater le succès du disciple et celui du maître.

La société Sainte-Cécile, comme la plus jeune et la plus hardie des sociétés consacrées au culte de l’art musical, a ouvert bravement la saison des concerts. Il y avait d’autant plus de courage à braver ainsi les préoccupations de l’opinion publique, que la société Sainte-Cécile vient de subir une petite révolution qui a failli compromettre son existence. M. Seghers, qui a créé et mis au monde la société Sainte-Cécile, a déposé le bâton du commandement qu’il tenait si bien et s’est retiré d’une œuvre qu’il a eu tant de peine à édifier. Sans vouloir entrer dans les débats intérieurs qui ont amené cette scission regrettable, nous dirons cependant que le comité de la société Sainte-Cécile aurait pu être plus reconnaissant pour un chef aussi dévoué que M. Seghers, et nous sommes d’autant plus désintéressé que l’ancien chef d’orchestre était souvent en désaccord avec les tendances bien connues de nos doctrines; mais M. Seghers rachetait ses défauts s’il en avait, et sa faiblesse pour la nouvelle école allemande, pour les Wagner, les Schumann et autres compositeurs de ce calibre, par la ténacité, la patience et la passion, qui, comme le feu, purifie tout, et sans laquelle on ne fait rien de durable. Si quelque chose pouvait nous consoler du départ de M. Seghers, c’est la nomination de M. Barbereau comme chef d’orchestre de la société Sainte-Cécile. Ancien grand prix de Rome, ancien chef d’orchestre du Théâtre-Italien, M. Barbereau est non-seulement un musicien et un harmoniste éminent, c’est un savant, un philosophe quelque peu pythagoricien qui ne vise à rien moins qu’à formuler la loi de la tonalité. Ce n’est point ici le moment d’entrer dans cette grande question de la science musicale, et de dire par quel enchaînement de théorèmes M. Barbereau arrive à nier l’existence de toute autre série de sons que celle qui constitue notre gamme diatonique