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moderne : M. Barbereau prépare un mémoire où cette question sera débattue devant l’Institut. En attendant, M. Barbereau a dirigé avec beaucoup de précision et de chaleur le premier concert que la société Sainte-Cécile a donné le dimanche 26 novembre 1854. Il se composait de l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini, dont l’exécution a laissé à désirer, particulièrement pour les instrumens à vent, et de la symphonie en ut mineur de Beethoven. La séance s’est terminée par le mélodrame de Weber, Preciosa, qui a été, sans contredit, la partie saillante du concert. Dans cette œuvre exquise, pleine d’imagination, de tendresse et de charme, on a entendu une jeune cantatrice, Mlle Camille Berg, qui a dit avec émotion et un excellent style la ballade adorable : Jusqu’ici ta douce image. Mlle Camille Berg, dont la voix de mezzo soprano peut aller, au besoin, jusqu’au si aigu, est élève de M. Gustave Héquet, un des rares écrivains de la presse parisienne qui parlent bien de ce qu’ils savent. C’est un homme plein de préjugés que M. Gustave Héquet, car il pense que la musique est de tous les arts le plus difficile à bien juger, et il croit que tout l’esprit de Stendhal n’a pu l’empêcher d’écrire des énormités sur l’œuvre de Rossini. Hélas! nous partageons les préjugés de M. Héquet.

Au nombre des sociétés particulières où l’on cultive avec zèle la musique de chambre et particulièrement le quatuor, il faut citer les matinées de M. Gouffé, contre-bassiste à l’Opéra. Dans l’une de ces matinées, qui ont lieu tous les mercredis chez l’artiste distingué que nous venons de nommer, nous avons entendu un fort joli sextuor pour piano, deux violons, alto, violoncelle et contre-basse, de la composition de M. Salvator. M. Salvator, qui vit presque sous le toit de M. Augustin Thierry, qui aime la musique comme un grand artiste qu’il est dans son genre, est un jeune homme qui s’est lancé dans la carrière de la composition, il y a quelques années, comme un romantique pur qui ne compte que sur les hasards de la spontanéité. Il s’est aperçu, un peu tard peut-être, que cela ne suffisait pas, et qu’il manquait à ses improvisations l’art d’en tirer un bon parti. Après quelques hésitations douloureuses que l’on conçoit de reste, M. Salvator a pris, comme on dit, son courage à deux mains, et il est allé trouver M. Barbereau, qui lui a administré le baptême et l’a mis sur le droit chemin. Le sextuor que nous avons entendu est le premier fruit de cette régénération de M. Salvator. Il y a du talent, des idées vraiment musicales, et si toutes les parties qui le composent ne portent pas l’empreinte d’une conception suffisamment homogène, il est juste de reconnaître qu’il y a de la grâce dans le scherzo et une certaine fougue passionnée dans le finale. M. Salvator n’a qu’à développer ces bonnes qualités, et il arrivera à se conquérir la seule réputation que doive ambitionner un véritable artiste.

Dans un autre de ces petits sanctuaires où la bonne musique trouve des adorateurs éclairés, nous avons entendu un hautboïste italien, M. Paggi, de Florence, dont l’exécution nous a émerveillé. M. Paggi, qui a parcouru l’ancien monde et le nouveau, a transformé le hautbois, instrument champêtre aux accens plaintifs et élégiaques, et lui a imprimé un caractère énergique d’une puissante sonorité. Il chante, il pleure, il rit sur cet instrument