Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

recommandé à lui. Je l’accompagnai dans les rochers de Mouthiers à toutes ses excursions.

La visite de ces messieurs se renouvela plusieurs fois pendant l’été. En automne, ils voulurent aller une fois à la chasse aux alouettes dans la plaine de la Barèche, au-dessus de la côte d’Échevannes. C’est moi qui fus chargé de les accompagner pour tirer le miroir. Je vins les prendre chez M. Groscler à quatre heures du matin. Il fallait être là-haut de bonne heure pour profiter du soleil levant. Leurs beaux carniers de chasse avaient été garnis de vivres dès la veille. Cependant, quand j’arrivai, je trouvai Mme Groscler déjà levée, et faisant à ces messieurs les honneurs de son chez elle en mantelet blanc et en cornette du matin. Je me passai au cou le carnier de M. Protet, et nous partîmes. Cinq quarts d’heure après, nous étions en position de chasse, assis au pied d’un buisson, le miroir planté en terre à quinze pas en avant. Il avait fait une petite gelée blanche qui argentait légèrement tous les chaumes de la plaine. Bientôt le soleil sortit des brouillards du côté de la source de la Loue. Les alouettes, depuis longtemps éveillées, le saluèrent par un redoublement de cris joyeux. La journée promettait d’être bonne. Je me mis à tirer ma ficelle, et le miroir commença à lancer ses fusées de rayons éblouissans. Quelques minutes après, cinq ou six alouettes battaient des ailes en planant au-dessus, presque immobiles, avec de petits cris de désireuse angoisse. Deux coups de fusil partirent. Une seule alouette tomba. M. Protet avait manqué. Un instant après, la même décharge se renouvela avec le même résultat. M. Protet avait encore manqué. On rechargea les armes sans bouger de place, et la manœuvre se continua ainsi pendant une heure et demie. J’aurais bien voulu prendre à M. Protet son beau fusil double pour voir si je ne serais pas plus adroit, mais je n’osai. L’ingénieur tuait à peu près à tout coup ; M. Protet ne réussit que quelques fois. Bref, quand les alouettes cessèrent de donner, nous nous levâmes enfin tout engourdis pour les ramasser et déjeuner. Il y en avait vingt-sept. Le soleil arrivait au haut du ciel.

Au retour, nous trouvâmes les bestiaux d’Échevannes à l’abreuvoir, les paysans allant à la charrue, et les haies du village remplies de moineaux criards. Au-dessus de la côte, nous nous arrêtâmes pour admirer le beau paysage qui s’ouvrait à nos pieds, les maisons grises de Vuillafans groupées comme un troupeau autour du gros clocher bourru, les cerisiers des prés dont les feuilles commençaient à rougir, et le petit brouillard qui se traînait encore sur la Loue, puis enfin nous descendîmes par les sentiers. En arrivait au bas de la côte, nous aperçûmes Mme Groscler qui venait à notre rencontre en grande toilette et avec son ombrelle. Elle nous salua de loin en