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la manière de Rome et de Sparte sont les mêmes qui formeront le carbonarisme et fonderont la Jeune-Italie. Tous ces enfans sont là déjà tels qu’ils seront dans la vie : le jeune Lorenzo est déjà ardent, romanesque, rêveur, disert ; Anastase, lâche, rapace, insolent et bas ; le brave Sforza a déjà le courage froid et la fermeté de caractère qu’il déploiera plus tard en face de la prison et de la mort ; le courageux Alfred, esprit lourd, cœur dévoué, a déjà cette puissance de sacrifice qui le ferait monter tranquillement sur l’échafaud, lui innocent, pour sauver un ami coupable. La scène seule changera, les acteurs resteront les mêmes.

Lorenzo, ainsi que nous l’avons dit, rencontre bientôt au collège la tyrannie sous ses formes les plus variées. Le roi Charles-Félix, étant en tournée à Gênes, devait recevoir une députation du collège, qui, selon l’usage, se composait du père recteur (il est inutile de dire que le collège était dirigé par des ecclésiastiques), du vice-recteur et des cinq élèves qui s’étaient le plus distingués dans les cinq divisions. Si la justice, non la politique et la flatterie, avait été consultée, Lorenzo aurait de droit représenté sa division ; mais Lorenzo n’avait aucun titre nobiliaire, et le prince d’Urbino fut nommé à sa place.


« Les autres enfans qu’on choisit pour compléter la députation étaient les deux fils d’un grand d’Espagne, le fils d’un général piémontais et l’héritier d’un riche planteur de l’île de Cuba, tous jeunes gens très bien choisis par rapport au rang et à la fortune, mais desquels on peut dire, pour se servir de l’expression anglaise, qu’ils n’étaient pas capables d’incendier la Tamise. En vérité le prince était presque un phénix en comparaison d’eux. Pas une place, pas une seule n’avait été réservée au mérite réel.

« Les révérends pères qui dirigeaient le collège royal, et qui étaient avant tout les humbles serviteurs des pouvoirs existans, savaient bien que ce qu’on leur demandait était de former des sujets dociles plutôt que des raisonneurs tracassiers. Quelque orgueilleux qu’ils fussent de leurs élèves distingués, ils se gardaient donc bien de les montrer à une cour où le talent était la pire recommandation, et la meilleure, un titre de noblesse ou une fortune de quelques millions. À cette époque surtout, les idées étaient l’épouvantail de la haute société. C’était à elles qu’on devait les dernières insurrections de Naples et du Piémont. Aussi pensait-on qu’il était grandement temps d’y mettre fin. Pour débuter, on avait fermé les universités de Turin et de Gênes, et le programme de François Ier empereur d’Autriche, faisait rapidement son chemin en Piémont. En réponse à un plan d’instruction publique qui lui avait été présenté à Milan par un professeur distingué, sa majesté impériale avait prononcé ces mots laconiques : « Tout cela est de trop. Si mes sujets savent lire et écrire, ils en savent assez. »


À ce système d’obscurantisme ajoutez les préjugés séculaires dont les meilleurs esprits étaient encore infectés, et vous aurez une idée