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Ici devrait se placer la mention des influences qui produisent les maladies épidémiques, et en première ligne ce terrible choléra asiatique qui depuis un quart de siècle décime les populations de l’Europe; mais ce fléau mystérieux, qui détruit si rapidement non-seulement la vie, mais encore l’organisation, a échappé jusqu’ici à toutes les investigations de la physiologie. La fièvre jaune a été étudiée dans son action sur certaines portions des organes qu’elle affecte; on a reproduit ses effets par certains réactifs et par certains poisons, tandis que, pour le choléra, rien de pareil n’a pu être obtenu, et cette affection, souvent foudroyante, a échappé jusqu’ici à tout l’art des Magendie et des Orfila. Est-ce une influence nerveuse ? Alors d’où viennent des effets de décomposition si rapide ? Est-ce autre chose ? Alors pourquoi ne retrouve-t-on pas de traces de l’agent matériel qui a produit de si énergiques effets ? Enfin quelle peut donc être la nature de l’émanation, de l’effluve exhalée de la terre qui détermine la recrudescence de ces épidémies ? — La question, loin de laisser entrevoir une solution, n’est pas même encore bien posée.

En général, la quantité de matière nécessaire pour agir sur le système nerveux et sur nos organes est extrêmement petite. On a analysé chimiquement l’air infect pris dans l’égout de Montmartre et celui qui avait été recueilli dans un espace libre et bien isolé sur les quais, près du pont de la Concorde, et chimiquement parlant, on les a trouvés identiques. Un morceau de musc qui avait fourni pendant vingt ans des émanations odorantes à l’air libre n’avait rien perdu de son poids. L’air qui donne les fièvres de marais et celui de la Zélande, qui donne constamment les fièvres d’automne, ne déposent rien d’appréciable aux réactifs les plus sensibles. Quelles influences physiques faut-il donc imaginer ou admettre ?

Si l’on stationne dans une chambre fermée où se trouvent des fleurs très odorantes, comme par exemple des tubéreuses, on cesse d’en sentir l’odeur au bout de quelque temps; pour certaines personnes, l’action cependant ne cesse pas avec la sensation. Beaucoup de dames par exemple ne résisteraient pas à cette influence occulte, et finiraient imperceptiblement par se trouver mal. Il y a donc là une puissante action qui se produit sans être manifeste à nos sens, et au moyen d’émanations tellement subtiles, qu’elles échappent à toute appréciation physique du poids. L’influence météorologique des contrées malsaines ou envahies par les maladies épidémiques est-elle de ce genre ? C’est ce que nous ignorons complètement. Au reste, ces agens mystérieux ne seraient pas plus étranges ni plus subtils que ceux que la physique reconnaît sous les noms de fluide électrique ou magnétique, de principe de la chaleur et de la lumière, ni enfin que le fluide universel lui-même, cet éther si éminemment élastique et impondérable qui sert de véhicule à la chaleur et à la lumière, comme l’air sert de véhicule au son, aux bruits divers et à toutes les vibrations non perceptibles à l’oreille. On ne doit point s’étonner que de pareils agens ne trahissent leur existence que dans des cas très exceptionnels, car si rien ne peut les contenir, les arrêter, les renfermer, les circonscrire, comment en aurons-nous la sensation ? C’est à peu près ainsi que nous concevons l’éther impondérable, intangible, non perceptible à nos sens, excepté dans le cas de vibration, où il agit sur nos sens comme