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du régime intellectuel qui florissait en Italie vers l’an 1820. M. Ruffîni cite à ce sujet un exemple assez curieux. Le père recteur du collège était un homme remarquable, et qui avait admirablement pénétré la nature de l’enfant, si l’on en juge par son système de terreur. « Un certain mystère entourait toutes ses actions, et particulièrement les punitions qu’il infligeait. » Lorsqu’un enfant avait commis une faute grave, il était enlevé, et on ne le revoyait plus de quelques jours. Un jour il mande Lorenzo, lui montre du doigt un livre saisi dans son pupitre, le Paradis perdu, et lui présente en même temps un autre livre ayant pour titre : Index librorum prohibitorum a summo pontifice. Voici le discours passablement grotesque que tint à Lorenzo cet homme pénétrant, qui appliquait le système de politique de Venise au gouvernement de son collège :


« — Eh quoi ! monsieur ! aurais-je dû m’attendre à cela de votre part ? Est-ce ainsi que vous récompensez les soins et la tendresse qu’ont eus pour vous vos professeurs ? Est-ce donc à vous précipiter tête baissée dans l’impiété que vous employez les talens qu’il a plu à Dieu de vous prodiguer ? Vous lui devez compte de votre temps, et vous remployez à lire des livres impies, à répandre le poison de l’hérésie parmi vos jeunes compagnons, vous qui devriez au contraire les édifier par votre exemple ! Vraiment Biscozza est un ange en comparaison de vous (Biscozza était notoirement le plus mauvais sujet du collège). Que sont ses polissonneries, si on les compare à l’impiété ? Savez-vous bien que par le seul fait d’avoir lu ce livre, vous êtes en état de péché mortel ? Savez-vous que s’il plaisait à Dieu de vous frapper de mort à ce moment (et puisse sa divine clémence vous donner le temps de vous repentir !), vous iriez à l’éternelle perdition ? Pouvez-vous penser à cela sans frémir, ou bien avez-vous déjà atteint au sommet de cette philosophie moderne qui nie l’infaillibilité du vicaire du Christ, ou même le Christ lui-même ? »


Revenons au voyage du roi de Piémont et au choix de la députation reçue par Charles-Félix. Il ne faut pas demander si Lorenzo avait ressenti vivement l’injustice qu’on lui avait faite en lui préférant le prince d’Urbino. Aussi, lorsque le prince rend compte à son retour des magnificences auxquelles il a été invité à prendre part, Lorenzo, la rage dans le cœur, ne manque pas de l’humilier, et ici se place une anecdote qui caractérise admirablement la nature des deux classes d’hommes les plus importantes de la société, — l’aristocrate de naissance et l’homme des classes moyennes.


« — Vous paraissez inquiet, Lorenzo ! dit le prince, fixant soudainement les yeux sur moi.

« — ….. Pas le moins du monde, mon cher garçon ; si j’ai ressenti quelque inquiétude, c’était à votre sujet, mais votre récit l’a entièrement dissipée.