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à la hauteur des maîtres les plus illustres. Solidité, élégance, élévation, netteté, spontanéité, sûreté de mémoire, entraînement chaleureux, possession de soi-même, rien ne lui manquait de ce qui est nécessaire pour faire un professeur accompli. Qu’on ajoute à cela la force particulière que lui donnaient des convictions religieuses ardentes et fermes, et l’on comprendra l’impression qu’il produisait sur un auditoire. Nous voudrions le peindre dans cette chaire de littérature étrangère à la Sorbonne qui l’a grandi et qui l’a dévoré, mais ce portrait est déjà fait (et beaucoup mieux que nous ne pourrions le faire) par un écrivain bien connu des lecteurs de la Revue des Deux Mondes. Nous n’avons qu’à l’emprunter aux belles pages que M. Ampère a consacrées à la mémoire de M. Ozanam : ces pages, empreintes d’un sentiment de douleur intime et profonde, honorent singulièrement l’homme qui a mérité de tels regrets. « Ceux qui n’ont pas entendu professer Ozanam, dit M. Ampère, ne connaissent pas ce qu’il y avait de plus personnel dans son talent. Préparations laborieuses, recherches opiniâtres dans les textes, science accumulée avec de grands efforts, et puis improvisation brillante, parole entraînante et colorée, tel était l’enseignement d’Ozanam. Il est rare de réunir au même degré les deux mérites du professeur, — le fond et la forme, le savoir et l’éloquence. Il préparait ses leçons comme un bénédictin, et les prononçait comme un orateur : double travail dans lequel s’est usée une constitution ardente et frêle, et qui a fini par la briser ! Mais aussi quelles heures ! Quand Ozanam paraissait dans sa chaire avec sa figure pâle, sa voix vibrante, tout rempli d’un sujet profondément étudié, quand, s’échauffant peu à peu sous l’empire de quelque sentiment généreux de religion ou d’humanité qu’il savait faire jaillir des matières les plus arides, tout ému, tout palpitant, il mêlait l’enthousiasme à la science, passionnait l’érudition, élevait par moment la chaire du professeur au niveau de la tribune oratoire ou de la chaire chrétienne, — il passait sur son auditoire de ces frémissemens qui sont le témoignage de l’éloquence le plus incontestable, parce qu’il est le plus involontaire. »

La notice de M. Ampère nous dispense également d’entrer dans l’analyse des principaux ouvrages de M. Ozanam. Nous ne ferons que mentionner son beau volume sur Dante et la philosophie catholique au XIIIe siècle, dans lequel il a si heureusement restitué à cette grande figure de l’auteur de la Divine Comédie son véritable caractère, sous le poète découvrant le théologien, et suivant dans tous ses détours le travail subtil et profond de la pensée humaine au moyen âge. Nous ne dirons aussi qu’un mot des Études germaniques, honorées deux fois par l’Académie des Inscriptions et belles-lettres du grand prix Gobert, ouvrage substantiel où l’auteur expose l’histoire de la civilisation chrétienne dans le monde barbare, en mêlant aux dissertations les plus savantes un heureux choix de ces légendes, de ces récits poétiques et populaires qu’il aimait, dont il savait tirer un merveilleux parti, et qui donnaient tant de charme et de couleur à son érudition. Nous ne nous arrêterons qu’un instant à ce gracieux travail intitulé les Poètes franciscains en Italie au treizième siècle, dans lequel M. Ozanam s’est plu à redonner la vie à d’humbles moines, à encadrer dans les considérations historiques les plus hautes les détails de mœurs les plus attrayans, et la poésie tendre, mystique et naïve des disciples de saint François. C’est au dernier ouvrage d’Ozanam