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passer à aucun prix. Elle ne peut pas se passer non plus du christianisme. Cependant on lui a fait croire que ces deux grands biens sont incompatibles, qu’il faut choisir, et elle n’a pu prendre sur elle de renoncer ni à l’un ni à l’autre. » Celui qui parlait ainsi croyait que le problème de cette alliance était enfin résolu; il se trompait : le problème subsiste, et ses difficultés, loin de s’amoindrir, semblent s’accroître de jour en jour; mais c’est ce qui rend plus regrettable encore la perte de M. Ozanam. Comment ne pas déplorer en effet qu’un homme dans l’esprit duquel s’était opérée si sincèrement cette conciliation qui paraît si difficile à tant d’autres, comment ne pas déplorer qu’un tel homme, influent par la dignité de sa vie, par la parole, ait quitté le monde et ne puisse plus contribuer pour sa part à élever, à épurer les âmes, à pacifier et à rapprocher les cœurs ?


LOUIS DE LOMENIE.


TYPES OF MANKIND OR ETHNOLOGICAL RESEARCHES BASED UPON THE ANCIENT MONUMENTS, PAINTINGS, SCULPTURES AND CRANIA OF RACES, etc., par J.-C. Nott et G. Gliddon[1]. — Ce volumineux ouvrage a été publié en Amérique au mois de juin 1854, et n’a pénétré en France que depuis peu de temps. M. Morton, à qui l’on doit la première idée de ce travail, croit à la diversité spécifique des hommes. Ce savant, dont le nom, célèbre et populaire de l’autre côté de l’Océan, est si peu connu parmi nous, étudiait depuis fort longtemps une question qui préoccupe tour à tour les naturalistes et les historiens, les archéologues et les philosophes. La physiologie et l’anatomie ne lui avaient pas paru suffisantes pour la résoudre, et, voulant arriver à la vérité, il s’était instruit presque dans toutes les branches des connaissances humaines. L’ethnographie en effet est une science difficile et plus difficile encore pour un Américain que pour tout autre. On est bien prompt à accuser les écrivains de cette nation de défendre l’esclavage, et ils ont besoin d’avoir plus raison que d’autres pour échapper à d’odieuses imputations. Si la doctrine de la diversité humaine pouvait excuser cette inconséquence funeste d’un état libre, personne n’hésiterait à sacrifier ses convictions à la cause de l’humanité; mais il est bien évident pour tout esprit de bonne foi que c’est l’unité de but dans la création, et non une consanguinité matérielle, qui est le fondement de la fraternité humaine. Assurément il est triste, il est désolant, pour employer une expression de M. de Humboldt, d’établir entre les races une distinction profonde et permanente. Cependant cette différence est avouée de tous. Qu’importe donc, pour les droits innés à toute créature raisonnable, que tous les hommes aient eu dès l’origine ces caractères qui les distinguent, ou qu’ils les aient acquis par des dégradations ou des perfectionnemens successifs ? Qu’importe que cette barrière ait été posée entre les hommes par le Créateur, ou qu’elle ait été élevée peu à peu par des lois inconnues de la nature jusqu’à devenir infranchissable ?

M. Morton mourut au printemps de l’année 1851, laissant quelques manuscrits et une collection de crânes admirable. Deux savans, MM. Nott et Gliddon, qui s’intitulent modestement ses élèves, voulurent honorer sa mémoire et compléter son œuvre. Leur travail, qui dans l’origine ne devait consister qu’en une exposition succincte des doctrines de leur illustre compatriote, devint bientôt l’ouvrage le plus important peut-être de

  1. London and Philadelphia, gros in-4o, 1854.