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trompait. Son impitoyable cruauté, qui a coûté tant de sang aux Pays-Bas, digne de la réprobation de tous les cœurs généreux, étonne à bon droit tous les esprits éclairés comme une grossière méprise : la terreur ne réveille pas la foi. La piété de Rubens n’était pas la piété d’un anachorète ou d’un croisé; mais il n’y a dans la Descente de Croix rien dont puisse s’alarmer ou s’étonner la piété la plus sincère.

Le Crucifiement de saint Pierre, placé aujourd’hui à Cologne, non pas dans la cathédrale, comme l’a dit récemment un écrivain mal informé, mais dans la modeste église de Saint-Pierre, n’offre pas une étude moins intéressante que la Descente de Croix. Ce fut un des derniers ouvrages, peut-être même le dernier, du maître flamand; mais comme il occupe une place à part parmi ses compositions religieuses, comme il n’a pas moins d’importance que la toile dont se glorifie la cathédrale d’Anvers, et qu’il se recommande à l’attention des connaisseurs par une exécution toute différente, je ne crois pas devoir tenir compte de la chronologie, et je veux essayer dès à présent de le caractériser. La fabrique de Saint-Pierre de Cologne, comprenant l’immense valeur de ce tableau, en a fait un objet de spéculation. Les visiteurs qui entrent dans l’église n’aperçoivent sur le maître-autel qu’une copie de la composition de Rubens ; un avis écrit en trois langues avertit les curieux qu’ils ont à payer un demi-thaler pour voir l’original. M. Cachet a publié récemment deux lettres de Rubens qui se rattachent à l’histoire de ce tableau et qui en expliquent le caractère spécial. Quatre ans avant sa mort, il recevait une lettre signée du nom de George van Geldorp, peintre flamand établi en Angleterre depuis quelques années. Il s’agissait d’un tableau d’autel tiré de la vie de saint Pierre. Rubens, accablé de commandes, ne pouvait pas toujours répondre sur-le-champ à ses nombreux correspondans. Il ne répondit à George van Geldorp que l’année suivante, et lui proposa le Crucifiement de saint Pierre. Il espérait trouver dans le supplice inusité du martyr des effets nouveaux. Cependant, avant de prendre un parti, il demandait quelles seraient les dimensions de la toile, jugeant avec raison que cette condition, toute matérielle, devait déterminer le choix du sujet. Il s’était d’abord étonné de voir une telle commande lui venir de Londres. Il ne comprenait pas qu’une ville protestante voulût avoir un tableau d’autel. Quand il sut que George van Geldorp lui avait écrit de la part de Jabach, célèbre amateur de Cologne, il résolut de se surpasser. Le Crucifiement de saint Pierre avait séduit son imagination; il voulait le traiter à loisir et donner dans cette œuvre la mesure complète de son savoir. Aussi ne se pressait-il pas de l’achever. Malgré la prodigieuse rapidité qui lui était familière, il n’y avait pas encore mis la dernière main en 1638. George van Geldorp pria un de ses