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S’il était permis de prendre au sérieux l’éternel reproche adressé à Rubens par ses détracteurs, s’il était nécessaire de prouver par un argument péremptoire l’étendue et la profondeur de son savoir, on trouverait dans le Crucifiement de saint Pierre une réponse victorieuse. On a souvent dit et j’entends dire chaque jour que le plus grand des maîtres flamands ne sait pas dessiner. Cette accusation banale serait facilement réfutée par la Descente de Croix; mais le tableau de Cologne démontre encore mieux que le tableau d’Anvers que l’auteur savait au besoin, et dès qu’il le voulait, arrêter le contour de ses figures, modeler avec finesse les parties les plus délicates sans rien perdre de sa splendeur habituelle. Le Crucifiement de saint Pierre est d’un dessin énergique, élégant et pur; pour le nier, il faut renoncer à la bonne foi. Que les formes choisies par Rubens ne plaisent pas à tous les yeux, je le conçois sans peine; que la force éclate dans ses compositions plus souvent que la grâce, c’est une vérité reconnue depuis longtemps; que plus d’une fois il ait sacrifié le contour au coloris, il n’est pas permis de le nier, mais il n’agissait pas ainsi par ignorance. S’il préférait la splendeur à la précision, il n’avait pas pour le choix des lignes le mépris qu’on lui attribue trop souvent; il savait toute l’importance du dessin et l’avait étudié avec ardeur; seulement il avait une manière de voir et de rendre la nature qui lui appartenait et qui donnait à tous ses personnages un caractère spécial. Parmi ses nombreux détracteurs, il y en a plus d’un qui prend son originalité pour une preuve d’ignorance. Il a prouvé maintes fois qu’il connaissait tous les secrets de la forme humaine, mais jamais il ne l’a prouvé aussi clairement que dans le Crucifiement de saint Pierre. L’élégance de saint Jean et de Salomé, le torse entier du Christ dans la Descente de Croix, peuvent être invoqués comme d’éclatans témoignages de savoir. Il y a dans cette œuvre immortelle un choix de lignes dont le goût le plus sévère ne saurait s’offenser; les jambes mêmes du Christ, dont le mouvement a soulevé tant de colère parmi ceux qui prétendent posséder seuls le secret de l’harmonie linéaire, ne me semblent pas mériter la réprobation dont elles sont frappées, car elles sont vraies dans le sens dramatique et dans le sens anatomique. Toutefois le Crucifiement de saint Pierre prouve encore mieux l’injustice de l’accusation que j’ai rappelée.

La galerie du Louvre édifierait les adversaires de Rubens, s’ils consentaient à regarder, au lieu de déclamer en détournant les yeux avec dédain; Anvers et Cologne achèveraient leur conversion, s’ils n’étaient résolus à nier systématiquement le savoir de ce maître illustre. L’étude des deux tableaux dont je viens de parler ne peut laisser aucun doute aux esprits sincères qui prennent la peine de s’éclairer avant d’affirmer ou de nier; mais cette méthode, enseignée