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d’impatience, mais elles ne prouvent pas la cupidité dont parlent quelques biographes. Il est fâcheux que ces nouveaux documens, d’ailleurs si intéressans, puisqu’ils nous montrent l’érudition encyclopédique de Rubens, ne nous apprennent rien sur la composition de la galerie du Luxembourg. A côté d’une dissertation sur les travaux numismatiques de Goltzius, nous aimerions à trouver quelques détails sur la vie de Rubens à Paris, sur ses entretiens avec la reine-mère, avec les dames de la cour. Il serait curieux de savoir si l’allégorie entrait dans les goûts personnels de Marie de Médicis, si le peintre a suivi ou combattu ses conseils, car une reine ne peut guère entrer dans un atelier sans donner son avis. Un tel renseignement aurait pour nous plus d’intérêt que l’anecdote sur la duchesse de Guéménée rapportée par un des biographes de Rubens. Que M. de Bautru ait présenté Rubens au cercle de la cour, que la reine-mère lui ait demandé le nom de la plus belle, et qu’il ait répondu : «Si j’étais Pâris, je donnerais la pomme à )a duchesse de Guéménée, » ce récit prouve que Rubens, bien qu’habile courtisan, ne se croyait pas obligé de préférer la beauté de la reine à la beauté de ses dames d’honneur. Nous aimerions à l’entendre parler de son art, et nous dire pourquoi, en nous retraçant la vie de Marie de Médicis, il ne s’en est pas tenu à l’histoire. Quoiqu’il ne soit pas difficile de deviner le motif qui l’a décidé à prendre ce parti, l’explication donnée par un homme de cette trempe, initié depuis longtemps à la connaissance de l’antiquité, aurait pour nous un charme singulier. Rubens essayant de justifier le mélange des idées païennes et des idées chrétiennes dans un sujet tout moderne nous intéresserait un peu plus qu’un madrigal sur Paris et la duchesse de Guéménée.

A coup sûr, la Vie de Marie de Médicis serait une école dangereuse pour les jeunes peintres qui n’auraient pas encore étudié d’autres modèles : ce n’est pas là en effet qu’ils pourraient puiser les principes d’un goût pur; mais quoi que puissent dire les partisans exclusifs de l’Italie, il y a dans cette biographie, qui a suscité, qui mérite tant de reproches, si l’on ne considère que le côté philosophique de l’art, des leçons sans nombre pour la jeunesse et pour l’âge mûr. Les élèves qui n’ont pas encore quitté les bancs, les peintres qui ont déjà vieilli dans la pratique de leur métier ne consulteront jamais sans profit l’Arrivée de la reine à Marseille et Henri IV lui remettant le gouvernement du royaume. Il y a dans ces deux compositions, pour un homme vraiment épris de la beauté, une source inépuisable d’émulation; mais, pour que l’étude de Rubens porte ses fruits, il faut qu’elle soit commencée de bonne foi, poursuivie avec sincérité; il faut interroger sa peinture et la copier, comme on interroge, comme on copie le modèle vivant, sans acception de système ou d’école. Si