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à la régularité symétrique des tailles, qui excite chez les ignorans une si vive admiration; ils s’attachaient avant tout à rendre la manière et le style du maître. Chez eux, nulle ostentation dans le maniement de l’outil. Ils ne tiennent pas à briller, à creuser dans le cuivre des losanges irréprochables; ils n’ont qu’un seul désir, une seule ambition, l’interprétation du modèle; ils vivent de la vie du maître; ils n’ont d’autre pensée, d’autre volonté que la sienne; ils ne discutent pas ce qu’il a fait, ils le copient. Chairs et draperies, ils traduisent tout ce qu’ils voient, sans rien omettre, sans rien ajouter. Ils n’essaient pas d’amollir ce qui leur paraît trop dur, de raffermir ce qui leur parait manquer de solidité. Quoi qu’ils puissent penser de l’œuvre confiée à leur burin, ils s’effacent tout entiers pour ne laisser voir que l’œuvre elle-même. Cette abnégation constante n’est pas un signe de médiocrité; loin de là, c’est la preuve la plus éclatante d’intelligence qu’un graveur puisse donner, car il est chargé de traduire et non de corriger son modèle. La méthode suivie par Bolswert, Paul Dupont et Vostermann est aujourd’hui tombée en discrédit. La plupart des graveurs se croient obligés de modifier le modèle qu’ils sont chargés de traduire; l’infidélité est pour eux une affaire d’honneur. Il n’y a guère qu’Henriquel Dupont, Calamatta et Mercuri qui comprennent aujourd’hui le mérite de la fidélité, et c’est à cette conviction qu’ils doivent la meilleure partie de leur talent. Ils mettent leur orgueil à ne rien exprimer qui ne soit dans le texte original, et les vrais connaisseurs applaudissent à leur modestie. Ils ont mis à profit l’exemple de Bolswert sans essayer de suivre servilement ses traces, car ils savent qu’il y a pour chaque maître un genre de gravure spécial. Le burin de Bolswert, qui convient à Rubens, ne conviendrait pas à Raphaël : le burin de Marc-Antoine Raimondi, qui convient à Raphaël, ne conviendrait pas à Rubens. Également fidèles, également dociles, ces deux interprètes ne parlent pas la même langue, n’ont pas le même accent, et la diversité de leur style est une preuve de leur sincérité.

Il y a trois choses à considérer dans Rubens : les origines de son talent, l’action qu’il a exercée sur le développement de la peinture, les avantages et les dangers que présente l’étude de ses œuvres. C’est la seule manière de déterminer avec précision, avec justice, le rang qui lui appartient, la place qu’il occupe dans l’histoire. Or, malgré les dénégations obstinées de la plupart de ses compatriotes, il est certain qu’il doit beaucoup à l’Italie. Les huit années qu’il a passées au-delà des Alpes ont modifié profondément, je ne dis pas la nature de son génie, mais la forme de sa pensée. Ce n’est assurément ni dans l’atelier d’Adam van Noort, ni dans celui d’Otto Venius qu’il a puisé les élémens de son style; le tableau de ce dernier que nous