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du Céleste-Empire; ils allaient échanger leur escorte thibétaine contre une escorte chinoise, et, comme ils n’étaient pas bien sûrs que les mandarins tiendraient à leur égard les engagemens pris par Kichan, ils avaient besoin de préparer mûrement leur plan de campagne. Ta-tsien-lou était donc pour eux une station très importante. Ils eurent d’abord à soutenir une lutte en règle contre le mandarin qui voulait absolument les condamner à continuer le voyage à cheval : exigence cruelle ! A la fin le palanquin fut accordé.

Puis vint la grave question du costume. La toilette thibétaine, c’est-à-dire le casque en peau de loup et la longue tunique en pelleterie, n’était plus de mise dans le Sse-tchouen. Les Chinois n’auraient eu qu’une fort piètre idée de gens aussi mal vêtus. Les voyageurs se firent donc confectionner de belles robes bleu de ciel, selon la dernière mode de Pékin, et ils chaussèrent de magnifiques bottes en satin noir ornées de hautes semelles. Ils auraient pu à la rigueur se contenter de cet accoutrement, qui devait commander partout la considération et le respect; ils imaginèrent cependant d’y joindre une large ceinture rouge et une calotte jaune brodée, du sommet de laquelle pendaient de longs épis de soie rouge. Pour le coup, les mandarins de Ta-tsien-lou trouvèrent l’idée exorbitante. Une ceinture rouge, un bonnet jaune! mais ce sont là les attributs de la famille impériale ! Le livre des rites est formel sur ce point. Impossible de tolérer une infraction aussi monstrueuse aux lois, aux coutumes et aux costumes de l’empire; il faut ôter ceinture et bonnet. Bref, ce fut autour des deux Européens une véritable émeute. M. Huc déclara qu’en sa qualité d’étranger il demeurait libre de s’habiller à sa guise, et qu’il ne ferait plus un pas sans avoir sa ceinture rouge et sa calotte jaune. Ce dernier argument était péremptoire, car les mandarins désiraient par-dessus tout être débarrassés d’hôtes aussi incommodes. Ceux-ci purent donc s’éloigner triomphalement de Ta-tsien-lou dans leurs palanquins et avec les vêtemens que vous savez.

On voit, dès le début, quelle attitude les missionnaires entendaient prendre en face des autorités chinoises. Peut-être trouvera-t-on que cette attitude était quelque peu forcée, et que les mandarins n’avaient pas tout à fait tort contre ces étrangers d’humeur si difficile; mais il est juste de tenir compte de la situation et des personnages. Une longue expérience du caractère chinois avait appris à M. Huc que devant les mandarins il ne faut jamais plier. « Les mandarins, dit-il spirituellement, sont comme leurs longs bambous : une fois qu’on est parvenu à leur saisir la tête et à les courber, ils restent là; pour peu qu’on lâche prise, ils se redressent à l’instant avec impétuosité. » Ces petites scènes qui se produisaient ainsi dès