Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chercher de l’argent et des marchandises ; à une certaine époque de l’année, il fait la visite de tous les districts où il y a des chrétiens. Je ne l’ai pas tracassé, parce que je me suis assuré que c’est un homme vertueux et charitable. — Il est évident que, si l’on voulait s’emparer en Chine de tous les chrétiens et de tous les missionnaires, la chose ne serait peut-être pas très difficile ; mais les mandarins se garderaient bien d’en venir là, parce qu’ils se trouveraient surchargés d’affaires qui, en définitive, ne leur rapporteraient aucun profit, ils seraient même grandement exposés à être dégradés et envoyés en exil. Les tribunaux de Pékin et l’empereur ne manqueraient pas de les accuser de négligence et de leur demander comment ils ont été jusqu’à ce jour sans savoir ce qui se passait dans leur mandarinat et sans faire exécuter les lois de l’empire. Ainsi l’intérêt personnel des magistrats est souvent pour les chrétiens une garantie de paix et de tranquillité. »

L’entretien des missionnaires avec les deux magistrats confirma donc l’exactitude des déclarations de Kichan sur l’état du catholicisme dans la province du Sse-tchouen, et le procès qui allait être jugé devait avoir d’autant plus d’importance, qu’il pouvait, suivant l’issue, effrayer ou rassurer les nombreux chrétiens de Tching-tou, dont l’anxiété était naturellement des plus vives. Les mandarins mirent d’ailleurs la plus grande diligence à réunir toutes les pièces de l’instruction, et quatre jours seulement après leur entrée à Tching-tou, MM. Huc et Gabet furent mandés devant le tribunal. Pendant ce court délai, on avait eu pour eux tous les soins imaginables; on leur avait donné deux valets de chambre, et le vice-roi avait attaché à leurs personnes deux mandarins à globule doré, chargés de leur tenir compagnie et de les égayer par les charmes de leur conversation. En outre, le magistrat qui habitait le palais ne manquait pas de venir leur rendre fréquemment ses devoirs, et plusieurs personnages de distinction tenaient à honneur de visiter les nobles étrangers, dont l’arrivée et le prochain jugement étaient l’objet des entretiens de toute la ville.

Aussi, à l’heure fixée pour l’ouverture du procès, les abords du tribunal étaient-ils encombrés d’une immense foule au milieu de laquelle les missionnaires purent remarquer quelques visages sympathiques; c’étaient des chrétiens, dont les regards mornes trahissaient une vive inquiétude. Les accusés s’avancèrent d’un pas ferme dans la salle, où siégeaient les juges. Ils montèrent un escalier dont les douze marches en pierre étaient bordées par deux rangs de bourreaux couverts de longues robes rouges et armés de leurs instrumens de supplice. Le président était un homme d’une cinquantaine d’années, « lèvres épaisses et violettes, joues pantelantes, teint blanc