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sale, nez carré, oreilles plates, longues et luisantes, front profondément sillonné de rides, yeux probablement petits et un peu rouges, mais cachés derrière de rondes et grandes lunettes, retenues à la sommité des oreilles par un petit cordon noir. Son costume était superbe; sur sa poitrine brillait un large écusson où était représenté en broderie d’or et d’argent un dragon impérial; un globule en corail rouge, décoration des mandarins de première classe, surmontait son bonnet officiel, et un long chapelet parfumé et orné de médaillons était suspendu à son cou. » Les autres juges portaient à peu près le même costume. Derrière eux se tenaient des officiers en habits de soie; des soldats armés entouraient la salle; enfin un public d’élite occupait dans les couloirs latéraux des places réservées.

«Tremblez, tremblez, » s’écrièrent en chœur les bourreaux, lorsque MM. Huc et Gabet traversèrent leurs rangs. « A genoux, accusés, » chantèrent à leur tour huit greffiers de leur plus belle voix. Les accusés restèrent debout. A une seconde sommation appuyée de gestes très impérieux, ils répondirent qu’ils ne s’agenouilleraient pas, attendu que ce n’était point l’usage dans leur pays, et ils rappelèrent la tolérance que leur avait accordée, sur cette question d’étiquette, l’ambassadeur Kichan. Le président n’insista pas, et après un assez long silence il procéda à l’interrogatoire. — De quel pays êtes-vous ? — Pourquoi êtes-vous venus en Chine ? — Où avez-vous appris le langage de Pékin, etc. ? — Puis on apporta devant le tribunal les papiers et les différens objets qui avaient été saisis à Lhassa dans le bagage des missionnaires, et que Kichan avait eu soin de renfermer dans une caisse scellée avec de grands cachets rouges. Tout était parfaitement en règle : les accusés reconnurent les objets qui leur étaient représentés, et on les invita à rédiger et à signer en français comme en chinois une attestation ad hoc. Les formalités ne se seraient pas accomplies avec plus d’ordre devant un tribunal européen.

Quand ces préliminaires furent terminés, le magistrat qui occupait le siège à la droite du président, et qui remplissait l’office de juge d’instruction, prononça un violent réquisitoire et adressa aux prévenus une foule de questions auxquelles ceux-ci jugèrent à propos de ne pas répondre, en déclarant qu’ils ne comprenaient pas un pareil langage. Le président répéta les questions d’un ton plus calme; il demanda notamment aux missionnaires quels étaient les Chinois qui les avaient introduits dans l’empire et ceux qui les avaient logés. Ils déclarèrent qu’aucune puissance humaine ne les forcerait à commettre une dénonciation. Les juges paraissaient assez embarrassés de cette attitude si décidée; aussi l’un d’eux s’avisa-t-il de soulever un incident : il fit remettre aux missionnaires une feuille