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II.

La province du Sse-tchouen, que nos voyageurs doivent traverser, est la plus vaste et l’une des plus riches de l’empire chinois. Elle mesure environ trois cents lieues de largeur et renferme neuf villes de premier ordre, cent quinze villes d’ordre inférieur, un grand nombre de forts et de places de guerre. C’est un beau pays, couvert de fertiles plaines, de montagnes pittoresques et de gracieux vallons. Çà et là jaillissent des lacs dont les eaux poissonneuses nourrissent des colonies de pêcheurs. Partout on rencontre des canaux et des rivières navigables, qui portent des milliers de jonques et qui répandent sur leurs rives la fécondité et la richesse. Le Yang-tse-kiang, ce fleuve géant qui traverse la Chine dans toute sa largeur, sillonne le Sse-tchouen du sud-ouest au nord-est. Les produits du sol sont aussi abondans que variés : ici des céréales qui doivent nourrir l’énorme population de plusieurs provinces ; là, des plantes textiles et tinctoriales, principalement le chanvre et l’indigo ; ailleurs, le thé, le tabac, les plantes médicinales, etc. Quant au peuple, il est à la fois plus intelligent et plus poli que dans la plupart des autres provinces ; il fournit à la cour des légions de mandarins civils et militaires, et il compte dans les annales du Céleste-Empire de nombreuses illustrations. Enfin c’est dans le Sse-tchouen que le christianisme paraît avoir fait le plus de progrès : M. Huc estime qu’il y a dans la province au moins cent mille chrétiens.

Nos missionnaires avaient donc, en quittant Tching-tou, la perspective d’un voyage agréable et commode. Ils allaient cheminer en grand équipage, tantôt sur les routes impériales, tantôt par eau, avec un état-major de deux mandarins et une escorte de douze satellites. Les koung-kouan ou palais communaux que l’habile administration de Kichan, précédemment vice-roi de Sse-tchouen, avait établis comme autant de caravansérails dans les principales villes d’étape, devaient s’ouvrir pour eux, et les gouverneurs, avertis officiellement de leur passage, avaient reçu l’ordre de les héberger comme des personnages de haut rang. Cependant, malgré les brillantes promesses de cet itinéraire, MM. Huc et Gabet n’étaient pas au bout de leurs peines. Les fourberies de leurs aides de camp, les mille tours des mandarins, le déplorable état des routes, les tempêtes du Yang-tse-kiang, la vermine, les moustiques, les cancrelats, tout conspirait contre eux. À chaque étape, il fallait tancer les magistrats, faire la grosse voix, combattre ruse par ruse, entêtement par entêtement, entamer une campagne en règle et disputer le terrain pied à pied. Il y avait là de quoi lasser la patience la plus