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mandarin ne pourrait exercer son emploi dans le même lieu pendant plus de trois années. M. Huc signale avec raison cette mesure comme étant la principale cause de la désorganisation qui a envahi peu à peu tous les rangs de l’administration chinoise. Les mandarins sont nommés dans un pays qu’ils ne connaissent pas, où ils ne sont pas connus, d’où ils savent qu’ils partiront à jour fixe. Ils ne songent plus dès lors qu’à amasser au plus vite, à force d’extorsions et d’exactions, une fortune dont ils iront, à l’autre bout de l’empire, enfouir la honte et savourer impunément les jouissances. Là où il n’y a plus de responsabilité morale, le gouvernement paternel disparaît. En voulant briser, comme c’était d’ailleurs leur droit, les influences politiques, menaçantes pour leur conquête, les Tartares ont brisé du même coup le lien de famille qui unissait étroitement les différentes classes de la société chinoise. Cet expédient a contribué sans aucun doute à maintenir depuis deux siècles leur dynastie sur le trône de Pékin, mais il a préparé en même temps une dissolution inévitable dont nous voyons se produire aujourd’hui les premiers symptômes. C’est en 1846 que M. Huc a rencontré sur les rives du Yang-tse-kiang les incroyables mandarins dont il a retracé les portraits ; en 1850, la révolte éclatait au fond de la province du Kwang-si. Il y a entre ces portraits de mandarins et cette révolution populaire un rapport très direct qui doit frapper tous les esprits, et l’on ne saurait vraiment faire un crime aux Chinois de s’être insurgés contre de pareils maîtres.

Mais il est temps de rejoindre nos missionnaires. On ne les avait pas trompés en leur annonçant qu’ils trouveraient sur leur route un assez grand nombre de chrétiens. Ils les reconnaissaient aux signes de croix faits à la dérobée dans les rangs épais de la foule et à l’émotion secrète qu’ils éprouvaient en traversant certains groupes d’où s’échappaient, visibles pour eux seuls, les radieux éclairs de la foi. À Tchoung-king, ils reçurent une lettre d’un évêque catholique qui, du fond de sa retraite, leur donnait des nouvelles assez tristes de sa mission, et signalait notamment l’arrestation de trois chrétiens emprisonnés à Tchang-tcheou, ville de troisième ordre où les voyageurs devaient s’arrêter. Le parti de MM. Huc et Gabet est bientôt pris. Ils arrivent à Tchang-tcheou, s’installent au palais communal, donnent audience au mandarin du lieu, et, après les politesses d’usage, ils l’interrogent sur les chrétiens. « Avez-vous ici beaucoup de chrétiens ? — Une quantité. — Et sont-ce de braves gens ? — Sans aucun doute. Comment des hommes qui suivent votre sainte doctrine ne seraient-ils pas ornés de toutes les vertus ! — Le bruit court cependant qu’il y a trois chrétiens enfermés dans la prison du tribunal. — N’en croyez pas un mot, ce sont de fausses rumeurs. Le peuple de