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tous les yeux que lorsqu’ils ont été dénoncés officiellement, pour ainsi dire, par une assemblée d’hommes dont la position donnait des garanties de modération et d’exactitude, et non par une bande de jeunes enthousiastes qui donnaient trop facilement prise aux reproches d’exagération et d’ambition subversive. Parmi les souvenirs de Benoni relatifs à l’administration piémontaise et au clergé, nous choisirons cependant une anecdote qui, à cause de son caractère dramatique, figurerait fort à son avantage dans le terrible roman de Melmoth ou dans tel autre livre de la littérature funèbre et anglicane. Quant au lecteur, il en tirera les conséquences qu’il voudra, selon son goût ou son aversion pour les moines et la vie monastique.

Une habitude assez répandue parmi les populations italiennes est celle des retraites, exercices religieux bien connus des pays catholiques, et auxquels on assiste pendant le carême. Ces exercices étant obligatoires pour les étudians, Lorenzo dut s’y rendre. Un soir, pendant qu’il était agenouillé près d’un confessionnal, il entend une voix chuchotter à son oreille : « Ne bougez pas, j’ai besoin de vous parler. Laissez la porte de votre chambre ouverte cette nuit. » Vadoni, celui qui parlait ainsi, était un des anciens camarades de collège de Lorenzo, une des créatures humaines les plus inoffensives qu’on pût voir, une pauvre tête, un tempérament obéissant, et dont tous les lauriers cueillis au collège se résumaient dans les prix de bonne conduite et de sagesse. Vadoni était orphelin, et n’avait pour parent qu’un vieil oncle dur, avare, égoïste, bigot, soumis à l’influence ecclésiastique et toujours en proie aux terreurs de l’enfer, dont ses vices et sa mauvaise nature le rendaient d’ailleurs parfaitement digne. Les moines, dont il faisait généralement sa compagnie, n’eurent pas de peine à prendre bientôt une grande influence sur l’esprit du jeune Vadoni. Ils étaient si doux, si bons, si polis, — son oncle au contraire était si dur et si morose, — leur couvent était si paisible, si propre, la maison avunculaire était si sordide et si ennuyeuse….. Bref, sa faible cervelle n’y tint pas. Il se figura qu’il était appelé à la vie monastique, ses religieux amis l’encouragèrent, et son oncle, trop heureux d’être débarrassé de son neveu, n’eut garde de l’en dissuader.

Le vieux Vadoni était riche ; si son neveu prononçait définitivement ses vœux, tous les biens dont il devait légalement hériter deviendraient la propriété du couvent. Si on laissait échapper Vadoni, l’héritage s’enfuyait avec lui, et il allait s’enfuir, car au bout de six mois de vie claustrale le pauvre garçon soupirait après la liberté. Il avait reconnu qu’il n’était pas fait pour la vie monastique. Prières, exhortations, menaces, furent employées pour le retenir, mais en vain ; on eut recours alors à des moyens plus terribles.