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du XVe siècle seraient dépassés par les pédans de la renaissance orientale du XIXe. Certes on ne nie pas que la connaissance des textes arabes ne fournisse d’indispensables lumières à l’étude du moyen âge espagnol, le livre seul dont nous parlons en serait une preuve suffisante; est-ce une raison pour rayer d’un trait de plume les services de ceux qui ont cherché la vérité par des voies différentes ? À lire les Recherches de M. Dozy, il semble que lui seul soit digne de toucher à l’histoire littéraire ou politique de l’Espagne. Au milieu de ses dissertations les plus ardues, ce sont soudain des explosions d’invectives ou des bouffonneries de mauvais ton contre les écrivains les plus dignes de respect. Et pourquoi de telles fureurs ? Parce qu’on n’est pas d’accord avec lui sur un nom propre ou sur une date. Jamais vocabulaire de savant irrité n’a été plus complet. « Je te soutiendrai par vives raisons, dit le Pancrace de Molière, que tu es un ignorant, un ignorantissime, ignorantifiant et ignorantifié, par tous les cas et modes imaginables. » Le reproche d’ignorance serait peu de chose encore dans la bouche de M. Dozy; celui-ci est un épicier et celui-là un faussaire. L’épicier, c’est le savant jésuite Masdeu qui s’est trompé plus d’une fois, je l’avoue, et de la façon la plus grave, sur les choses et les hommes du moyen âge, mais qui méritait cependant, par sa vie toute dévouée au travail, de ne pas être apostrophé de ce style-là. Le faussaire, c’est le laborieux Conde, celui-là même dont M. Ticknor parle avec tant de déférence et d’affection dans la préface de son docte livre. Conde a eu le mérite de comprendre le premier toute l’importance des documens arabes, et il a eu l’ambition de créer, comme on l’a dit, l’histoire de l’Espagne musulmane : généreuse ambition à laquelle la science et la sagacité n’ont pas toujours répondu comme il fallait. Il est bien certain que Conde ne savait pas suffisamment l’arabe, qu’il lui est arrivé maintes fois de faire des contre-sens énormes, et d’être mené ainsi, de contresens en contresens, à des interprétations qui n’ont plus le moindre rapport avec le texte. C’était le devoir de la critique de signaler toutes les erreurs de Conde, c’était son devoir aussi de traiter avec déférence le vétéran d’une entreprise glorieuse. Quand M. Dozy appelle Conde le grand faussaire, ce n’est pas seulement une faute littéraire qu’il commet là. Comment s’étonner, après de telles choses, que l’impétueux orientaliste de Leyde semble ignorer les plus simples règles de la politesse et de la modestie ? Comment s’étonner qu’il s’offre à lui-même en holocauste une hécatombe d’historiens et de critiques ? Français, Allemands, la plupart de ceux qui se sont occupés récemment de l’histoire d’Espagne ne sont que des barbouilleurs. M. Dozy ne s’est pas encore, on le voit, débarrassé de la fougue de la jeunesse : il lui reste à compléter la science par le sentiment de l’art, s’il veut rendre de réels services à cette histoire de l’Espagne qui est déjà pour lui l’objet d’une si farouche sollicitude.

À la place de ces notes et de ces détails où se plaît l’érudition contentieuse de M. Dozy, on aimerait mieux trouver dans son livre des études plus littéraires sur les monumens de la vieille poésie castillane. Pourquoi n’a-t-il pas mieux apprécié, à la lumière des documens nouveaux qu’il a produits, cette remarquable Chanson du Cid sur laquelle se croisent encore tant d’opinions contraires ? L’ouvrage de M. Clarus est bien plus complet sur ce point. M. Clarus écrit ces mots avec confiance à la première ligne de sa préface : « Personne