Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

récompensé. Je ne dirai pas qu’il ait résolu le problème, qu’il ait porté un jugement décisif sur cette partie si originale et si controversée encore de la littérature moderne, mais certainement il y a fait les plus sérieuses découvertes, et soit qu’il faille casser ses arrêts, soit qu’un jour, à l’aide de documens nouveaux, on vienne combler chez lui des lacunes inévitables, il sera toujours impossible de ne pas tenir compte de ce qu’il a fait. Les reproches très graves que nous serons forcé d’adresser à l’auteur n’enlèvent rien aux victoires de son érudition. Celui qui a écrit un tel livre s’est emparé à jamais de l’histoire du théâtre espagnol.

L’ouvrage de M. de Schack, Histoire de la Littérature et de l’Art dramatique en Espagne, se compose de trois volumes : le premier nous conduit jusqu’à Lope de Vega; le second est consacré à Lope et à la brillante pléiade qui l’entoure; le troisième, rempli presque tout entier par Calderon, expose ensuite la longue décadence du théâtre et les essais de régénération qui ont été tentés de nos jours. Après une rapide introduction sur l’origine du théâtre moderne, introduction où M. de Schack rencontre nécessairement les doctes recherches de M. Magnin, il nous fait traverser les deux curieuses périodes qui vont des premiers temps du peuple espagnol au règne de Ferdinand et d’Isabelle, et du règne de Ferdinand et d’Isabelle au règne littéraire de Lope de Vega. M. de Schack n’avait pas ici un seul guide à consulter : Moratin pouvait bien lui fournir quelques indications; mais l’Espagne ne possède aucun de ces répertoires comme en ont composé Collier pour l’Angleterre, Riccoboni pour l’Italie, et les frères Parfaict pour la France; il fallait tout retrouver du premier coup, à force de sagacité et d’ardeur. La tâche n’a pas effrayé M. de Schack, et ces deux périodes qui précèdent Lope de Vega ne sont pas les moins intéressantes de son livre; on y voit se former peu à peu tous les élémens populaires d’où les poètes du XVIe et du XVIIe siècle sauront extraire de l’or.

C’est surtout l’influence de l’église qui se manifestera dès le début. En Espagne comme partout, l’église a été l’institutrice du théâtre. Ce développement des jeux dramatiques sous l’égide et la direction de l’église était déjà assez avancé au XIIIe siècle pour qu’Alphonse le Savant, dans son code des Siete Partidas, ait cru nécessaire d’en régler l’emploi. Remarquez ici un fait qui ne semble pas avoir frappé l’esprit de M. de Schack : au moment même où l’influence de l’église sur le théâtre va disparaître presque partout en Europe, elle se règle et se consolide en Espagne. Du IXe au XIIe siècle, la maîtresse-veine dramatique, comme dit si bien M. Magnin, c’est l’inspiration sacerdotale; mais vers le milieu du XIIIe siècle, cette inspiration perd peu à peu le premier rang, et les deux autres élémens de la littérature dramatique au moyen âge, la jonglerie seigneuriale et la jonglerie foraine et populaire, pour employer encore les formules du savant écrivain français, se substituent manifestement au drame ecclésiastique. En France, en Allemagne, en Angleterre, ce développement naturel suit à peu près le même cours. Rien de pareil au-delà des Pyrénées. Il y a bien là, comme chez nous, des confréries de comédiens qui travaillent à émanciper l’art théâtral; mais en même temps que l’autorité ecclésiastique réprouve leurs jeux profanes, elle autorise et surveille les représentations édifiantes, utilisant ainsi au profit de la foi « cet instinct mimique