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celui-ci l’avait beaucoup blâmé de ne l’avoir pas acceptée. — Mais songez donc, lui avait-il dit, à tout ce qu’on peut faire pendant deux années uniquement employées au travail !

— Ah! répondit Lazare, vous ne vous doutez pas de ce qu’est la maison de Mme Renaud. Pour un artiste, c’est l’enfer. La compagnie qu’on y reçoit se compose de gens dont la conversation ressemble au remue-ménage d’une pile d’écus; ils professent pour tout ce qui est l’intelligence, l’esprit et l’art, un mépris tel que je n’ai jamais pu passer une soirée entière au milieu d’eux sans me faire une méchante querelle avec quelqu’un. Si j’étais l’hôte d’une pareille maison, j’y deviendrais fou ou idiot. Aussi, bien qu’elle soit rude, je préfère ma misère à un bien-être qui ne serait en résumé qu’une sorte d’esclavage.

— Mais, reprit Antoine, n’êtes-vous pas souvent l’esclave de cette misère, et y trouvez-vous pour votre travail cette liberté qui vous serait du moins garantie par ce bien-être que vous repoussez, quand il vous serait peut-être facile de l’acquérir au prix de quelques concessions ?

— Qu’importe ? répliqua Lazare. J’aime mieux arriver tout seul que d’avoir une obligation à des gens pour lesquels je ne puis avoir aucune sympathie, parce qu’ils me blessent de toutes les manières. Je ne parle pas de Mme Renaud, c’est une femme excellente; mais son mari est un double cuistre : il a toute la bêtise sonore d’un parvenu qui n’a que des gros sous pour aïeux; il m’exècre, et je le lui rends avec usure, comme il prête.

Un an s’était passé depuis cette rupture quand un jour Lazare rencontra sa marraine qui sortait d’une église. Il aurait bien voulu l’éviter, car il était alors dans un piteux état de costume; mais elle vint au-devant de lui, et, l’ayant examiné un instant avec une expression de tristesse : — Tu n’es pas heureux, mon enfant ? lui dit-elle.

— Je suis heureux à ma manière, répondit l’artiste, je suis libre.

— J’irai te voir demain pour causer avec toi. Donne-moi ton adresse. Je pense que tu es seul chez toi, et que ma visite ne sera pas indiscrète.

— Comment seul! fit Lazare, qui ne comprenait pas le véritable sens de l’interrogation. Certainement que je suis seul.

— Eh bien ! attends-moi demain dans la matinée.

Mme Renaud vint le lendemain chez Lazare, comme elle avait promis; mais elle n’avait pas fait trois pas dans l’atelier qu’elle fut obligée de s’asseoir. Elle était véritablement navrée par le misérable aspect du lieu. Lazare, qui la regardait, s’aperçut qu’elle pleurait. — Qu’avez-vous ? lui demanda-t-il avec une douceur respectueuse.

— Méchant enfant! lui répondit sa marraine en l’attirant auprès