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messager est arrivé derrière nous; il a rattrapé Lazare à la porte et a fait sa commission.

— Comment ce commissionnaire aurait-il reconnu M. Lazare dans la rue ? continua Claire avec cette persistance qui rend l’inquisition féminine si périlleuse.

— C’est probablement son messager ordinaire... Un rien t’arrête!...

— Ce n’est pas comme toi : tu as réponse à tout, dit Claire; mais, ajouta-t-elle, si ce commissionnaire connaît M. Lazare, comment se fait-il que ce soit d’abord à toi et non pas à lui qu’il ait remis cette lettre ?

Cette fois Eugène, ne se trouvant pas prêt à la parade, prit le parti de rompre : — Eh! eh ! dit-il, si vous avez vu cela, vous n’étiez donc pas dehors! Menteuse et curieuse dans un seul jour! Je vous marque deux mauvais points, Minerve! — Et il appliqua doucement ses mains sur chacune des joues de Claire.

— Tu ne m’as toujours pas répondu, dit-elle.

Eugène pensa qu’une preuve d’extrême confiance ferait peut-être diversion dans l’esprit inquiété de la jeune femme : — Aimes-tu les pommes ? lui dit-il gravement... Oui, tu dois aimer celles-là.

Claire l’écoutait sans comprendre.

— Eh bien ! reprit Eugène en lui présentant son bras élevé au-dessus de sa tête, eh bien! fille d’Eve, voilà un pommier, secoue la branche, et partageons le fruit défendu.

Claire aperçut la lettre tant convoitée dans la main d’Eugène, qui s’amusa deux ou trois fois à la lui retirer au moment où elle allait s’en emparer. Il finit par la laisser tomber à ses pieds. Claire la ramassa avec précipitation et se mit à lire. — C’est d’une femme ! dit-elle entre ses dents.

— Je ne cacherai pas que je m’en doutais, répondit Eugène. Lazare voulait me persuader que c’était de son notaire, mais je n’ai accepté son dire que sous toutes réserves. Ce garçon-là est un puritain de la pire espèce. C’est un hypocrite. A l’entendre, il menait une vie auprès de laquelle l’existence des anachorètes les plus vénérés n’était qu’une saturnale. Tu sais que tu m’as promis que je serais de moitié dans l’indiscrétion, continua le jeune homme. Est-ce que nous devrons toujours offrir à Lazare un bouquet de fleur d’oranger pour sa fête ? N’en est-il qu’à la préface ? lui fait-on espérer un dénoûment ? que dit cette lettre ?

— C’est la lettre d’une femme qui a de l’esprit et pas de cœur, murmura Claire pensive.

— Il y en a tant qui n’ont ni l’un ni l’autre, répondit Eugène en faisant un mouvement qui échappa à Claire préoccupée de sa lecture.