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Les souhaits de Lorenzo seront bientôt accomplis : lai aussi sera carbonaro. Depuis quelque temps il a surpris entre Fantasio et son frère César des conversations mystérieuses qui cessent à son approche. On semble le redouter et se défier de lui. Enfin le secret lui est révélé. « Ayez un peu de patience, lui dit Fantasio ; votre âge soulève encore quelques difficultés, mais tout sera bientôt terminé.» En effet, quelques mois après, Lorenzo était initié à la société secrète. La scène de l’initiation est curieuse et a un caractère tout italien ; elle commence dans un bal masqué et se termine dans l’appartement somptueux d’un riche gentilhomme.


« La foule était grande dans les salles du Ridotto, et le bal extrêmement animé. Il pleuvait et faisait froid dehors : excellente raison pour se réunir dans cette salle agréable, si comfortablement chaude ! Tout avait un aspect si brillant ! tous paraissaient si heureux et si gais ! Les masques étaient nombreux, les travestissemens étaient généralement de bon goût, et quelques-uns étaient splendides. Il n’était que onze heures et demie ; j’avais encore une demi-heure pour faire un tour dans la salle du bal ; je me mêlai donc au flot joyeux qui allait et venait et se pressait à travers la longue suite des appartemens. On dansait dans deux ou trois endroits différens, et je ne pus m’empêcher de sourire en passant auprès des danseurs au souvenir de mon infortuné début dans la gaie science de Terpsichore longtemps auparavant. Un feu croisé de saluts, de bouquets, de plaisanteries, de calembours et d’espiègleries, autorisés par la circonstance, partaient de tous côtés autour de moi comme des pétards.

« Un groupe compacte obstrue le chemin : qu’est-ce là ? C’est une servante, vrai type génois, avec son spencer en velours, son mezzaro national et ses jupons courts, dialoguant avec un gianduja, type piémontais : le gouvernement et l’opposition face à face ! — Deux écus par mois, crie la servante, deux écus pour une fille comme moi ! Allez au diable, allez, impertinent animal. (Rires des assistans.) Ils sont tous les mêmes, ces mangeurs de polenta. Ils viennent affamés et sans le son, et ils s’engraissent de notre chair. » La majorité de l’assemblée, qui appartient à l’opposition, applaudit cette délicate allusion à un plat favori des Piémontais et à leur pauvreté proverbiale.

« Plus loin, une nourrice en favoris noirs, portant dans ses bras une poupée de bois, persifle un Adonis suranné qu’elle a poussé dans un coin. Cette nourrice, à ce que m’apprennent mes voisins, porte la terreur partout où elle passe. Elle sait les secrets de tout le monde. En vain le pauvre homme, que la plaisanterie ne réjouit pas, fait des efforts désespérés pour s’échapper. Son persécuteur sans merci le suit de près et insiste pour avoir l’adresse de la boutique où il a acheté sa perruque de chanvre. Le Lovelace suranné se met sérieusement en colère, ce qui est contre les règles, et la joie des assistans n’en est que plus grande ; mais minuit sonne, et il est temps d’aller rejoindre César.

« Il n’était pas encore dans la salle du rendez-vous ; je m’assis donc, et je regardais la foule bigarrée qui passait devant moi. De temps à autre, un