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leur brisaient le crâne à coups de bâton, comme on fait aux chiens et aux serpens, dit l’écrivain grec. Ceux des habitans que les Slaves ne pouvaient pas emmener étaient enfermés avec des bœufs et des chevaux dans des étables garnies de paille où on mettait le feu, puis les barbares partaient au bruit des clameurs humaines mêlées avec le mugissement du bétail et les éclats de l’incendie. C’était là un de leurs passe-temps. Avec les Bulgares, autres souffrances, autres terreurs. Rien n’échappait à ces rapides escadrons, plus légers et plus destructeurs que les sauterelles de leurs steppes. Sur leur passage, les moissons étaient brûlées, les vergers détruits, les maisons rasées, et dans les ruines même il ne restait pas pierre sur pierre. Longtemps après, quand l’herbe et les broussailles avaient recouvert de grands espaces, jadis cultivés et habités, le Mésien disait en soupirant : « Voilà la forêt des Bulgares ! » Ce sauvage, muni du filet de guerre qu’il balançait dans sa main gauche, le jetait en passant avec une prestesse et une sûreté merveilleuses, et quand il avait emmaillotté sa victime, lançant son cheval au galop, il traînait le filet contre terre au moyen d’une courroie attachée à l’arçon de sa selle, jusqu’à ce que le malheureux prisonnier s’en allât par morceaux.

En parcourant dans les historiens du temps ces lugubres tableaux, on se demande d’abord pourquoi l’empire romain ne se leva pas comme un seul homme, pour mettre un terme à tant de misères ; mais les mêmes historiens nous fournissent la réponse : l’empire avait tout autre chose à faire. D’autres intérêts, d’autres luttes, passionnées jusqu’à la fureur, absorbaient les générations contemporaines, et ne permettaient pas d’entendre les cris de détresse partis des provinces du Danube. L’église d’Orient traversait alors une des crises les plus formidables et les plus longues qui aient ébranlé le christianisme. La question de savoir si les deux natures divine et humaine étaient séparées ou réunies dans la personne de Jésus-Christ, et quelle part revenait à chacune d’elles dans l’œuvre de la rédemption, question aussi délicate qu’importante à résoudre, avait été, en 428, jetée par le patriarche de Constantinople, Nestorius, dans la discussion publique, et depuis lors elle n’en était plus sortie, ou plutôt, grandissant par la controverse, où la subtilité grecque se donnait ample carrière, elle était devenue l’unique occupation des esprits. Nestorius avait nié l’union personnelle des deux natures, prétendant que le Verbe divin, après son incarnation, avait habité simplement dans l’humanité comme dans un temple, et refusant à Marie le titre de mère de Dieu : le moine Eutychès releva le défi, mais se plaçant précisément au point opposé, il confondit les deux natures jusqu’à faire mourir la Divinité sur la croix. Ces deux solutions extrêmes faussaient également le christianisme : la première faisait évanouir