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milliers de mouches lumineuses étincelaient dans l’air, qui semblait imprégné d’amour. C’était comme un conte de fée. Je restai longtemps aspirant le bonheur par chaque pore et baisant le bouquet de roses qu’elle m’avait laissé. Lorsque je rentrai à la maison, ma mère fut frappée de mon air de bonheur. — Comme vous êtes beau ce soir, mon chéri ! me dit-elle en me passant la main dans les cheveux ; je ne vous ai jamais vu autant à votre avantage. — Je me sens si heureux ! répondis-je en l’embrassant, la rougeur au front. — Dieu te bénisse, mon cher fils ! répondit-elle. — J’allai me coucher, me répétant ces incomparables vers de Pétrarque :


Chiare, fresche, dolci acque,


en substituant le nom de Lilla à celui de Laure, et je sommeillai toute la nuit sans me réveiller. »

Mais le plus doux bonheur a son amertume, et Lilla n’était pas femme à ménager l’amertume. C’était un de ces caractères féminins par excellence, faits pour dérouter à chaque instant, et qui demanderaient une analyse de tous les momens, une scrupuleuse surveillance de soi-même, dont la passion n’est pas capable. Le bonheur avec elle ne serait durable que si le rayon sous lequel elle a vu Lorenzo pour la première fois pouvait l’entourer d’une éternelle auréole ; mais les rayons sont fugitifs, et fugitifs aussi les sentimens de Lilla. Frappée de tout ce qui brille, elle a aimé Lorenzo comme elle aurait aimé un beau soleil, un beau costume, un beau cheval. Lorsqu’elle le vit pour la première fois, c’était le jour de la réception de Lorenzo comme carbonaro ; la réception avait eu lieu dans l’appartement de son frère, et Lilla se trouvait par hasard cachée derrière les rideaux de l’alcôve. Les yeux de Lorenzo brillaient ce soir-là d’un éclat si héroïque, si exalté, si romanesque, que Lilla en conserva bon souvenir. Au fond, Lilla n’est qu’une jeune et belle sauvage ; elle n’a aucunement ce qu’on nomme le sens moral, non par dépravation, mais par ignorance absolue : elle ne sait ce que c’est, et sa nature ne lui dit rien à cet égard. Obéissant en toute chose à son caprice et à sa passion du moment, elle est par conséquent, comme toutes les femmes de son caractère, capable de méchanceté sans être instinctivement méchante, et cependant, malgré tous ces défauts vains et puérils, qui ne peuvent manquer de frapper presque immédiatement, Lilla est dangereuse précisément à cause de ces défauts mêmes. Sa légèreté, ses caprices ne sont point des charmes, mais sont des stimulans funestes, qui aiguillonnent, excitent et tiennent en haleine l’amour tout en le lassant. C’est une de ces femmes dont on se sépare dix fois et vers lesquelles on revient autant de fois, car la vanité a de singuliers accommodemens, et l’orgueil blessé est un mauvais