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travail de restauration de toutes les places fortes, lequel fut continué et achevé plus tard par son neveu Justinien. Les neuf années que régna ce vieux soldat comptèrent parmi les plus paisibles de l’empire d’Orient : on n’entendit parler ni de Slaves, ni de Huns, tant les Barbares étaient convaincus qu’on ne les ménagerait point, s’ils osaient se remontrer. Justin mourut en 527 d’une mort digne de sa vie. Une ancienne blessure qu’il avait reçue à la jambe s’étant rouverte, la gangrène l’emporta. Son successeur, désigné d’avance, fut ce même neveu qu’il avait associé à ses travaux sur le Danube ainsi qu’à l’exercice de la puissance impériale, Justinien, dont le nom devait avoir un si grand retentissement dans les siècles.


II.

L’histoire et le roman ont altéré à qui mieux mieux les traits de cette grande figure de législateur conquérant, qui domine le VIe siècle et tend la main en arrière aux Théodose, aux Constantin, aux Septime-Sévère, aux Adrien. Le roman commença pour Justinien, au sein de la Grèce du moyen âge, par la légende de Bélisaire aveugle et mendiant, déjà répandue au XIIe siècle. Quant à l’histoire, elle fut double pour lui dès son vivant : la même plume haineuse et vénale qui le louait en public se chargea de le dénigrer en secret, le glorifiant et le noircissant pour les mêmes actes, faisant de lui, ici un héros et un ange, là un monstre plus détestable que Néron ou Domitien, et mieux encore, un esprit de ténèbres, un démon incarné sous les traits d’un homme. Entre ces deux excès de la flatterie et de la méchanceté, le jugement de la postérité est resté indécis, et par une tendance assez ordinaire à notre nature, qui préfère la satire au panégyrique, ceux-là même à qui les actions publiques de Justinien arrachent une admiration involontaire s’empressent de la tempérer par la lecture des Mémoires secrets[1]. Nous tâcherons d’écarter ces nuages, et de montrer ce césar des jours de déclin, tel que l’ont pu voir les contemporains impartiaux. Sa personnalité remplit tellement tout son siècle, même quand il n’est plus, qu’on ne saurait l’abstraire des faits sans les laisser incomplets. D’ailleurs la vie privée des empereurs romains est un élément nécessaire à l’intelligence du monde romain. L’éducation de palais, sous les gouvernemens héréditaires, jette trop souvent les princes dans un moule uniforme ; en tout cas, elle tend à les séparer de leurs

  1. Ces Mémoires secrets ou Anecdotes de Procope sont un libelle que le secrétaire de Bélisaire s’est amusé à composer contre Bélisaire lui-même, Justinien, Théodora, en un mot contre tous les personnages au milieu desquels il vivait et auxquels il n’épargnait pas les flatteries publiques.