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si solennel. Leurs armées se rendirent donc sur le terrain ; mais, à peine en présence, elles tournèrent le dos et s’enfuirent à toutes jambes chacune de son côté, comme frappées d’une terreur panique. Les deux rois assistaient à cette étrange déroute sans pouvoir l’arrêter. En vain Thorisin, qui crut avoir l’avantage, se jetait au-devant de ses Gépides, les menaçant et les suppliant tour à tour ; en vain Aldoïn, confiant dans sa force, criait à ses Lombards de demeurer : le champ de bataille fut vide en un moment, il n’y restait que les deux rois seuls ou presque seuls. Force leur fut de reconnaître dans cet événement un arrêt du ciel qui mettait leur honneur à couvert, et sous l’impression involontaire de frayeur qu’ils ressentaient eux-mêmes, ils conclurent une trêve de deux ans, pendant lesquels ils comptaient arranger leurs différends à l’amiable, ou prendre mieux leurs mesures pour les trancher armes en main.

La réconciliation fut de courte durée, et bientôt Gépides et Lombards ne songèrent plus qu’à leurs préparatifs de guerre. Les Gépides devaient recevoir des Coutrigours, à un jour fixé, un secours de douze mille cavaliers d’élite ; mais il y avait encore une année à passer avant l’expiration de la trêve quand le secours arriva, conduit par un chef de grand renom appelé Kinialkh. Cet incident troubla fort le roi Thorisin ; que ferait-il de ses hôtes en attendant la guerre ? Les renvoyer chez eux, ce serait les mécontenter et s’en priver peut-être pour une autre fois : en tout cas, fallait-il les payer d’avance. Les recevoir en Gépidie, les héberger, les nourrir toute une année et encourir les inconvéniens inséparables d’une pareille hospitalité, c’était un autre parti presque aussi dangereux que le premier. Thorisin était en proie à ces incertitudes, quand une idée lumineuse traversa son esprit. Montrant à Kinialkh les grasses campagnes de la Mésie qui s’étendaient en amphithéâtre sur la rive droite du Danube, il lui proposa de l’y transporter avec tout son monde, qui trouverait là du butin et des vivres en abondance, ce qu’ils n’auraient pas chez les Gépides. Kinialkh ébahi agréa la proposition, et les douze mille cavaliers coutrigours, après avoir franchi sans encombre le Danube et ensuite la Save, pénétrèrent au cœur de la Mésie, hors de l’atteinte des postes romains qu’ils avaient tournés. Justinien, averti de ces faits, fit expédier sur-le-champ au roi Sandilkh une dépêche ainsi conçue :


« Si, connaissant ce qui se passe et pouvant agir, tu restes tranquille chez, toi, nous admirons ta perfidie non moins que l’erreur où nous sommes tombé le jour où nous te donnâmes la préférence sur ton rival le roi des Coutrigours. Si au contraire tu ignores ce qui se passe, tu es excusable, mais nous attendons pour le croire que tu te sois mis en devoir d’agir. Les Coutrigours viennent chez nous, moins pour ravager nos États (ce qu’ils ne feront pas