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reprendre les récits divers dont l’ensemble forme cette histoire pour les soumettre à l’épreuve de la discussion, montrer d’abord, le phénomène dans ce qu’il a de réel et de sérieux, puis dans les diverses imitations qu’il a provoquées, ce serait peut-être éclairer quelques épisodes dont la place n’a pas encore été suffisamment marquée dans les égaremens de l’esprit humain. Cette tâche, ainsi définie, mérite qu’on l’entreprenne; mais avant de l’essayer, nous devons fixer par quelques considérations générales le caractère des faits à étudier.

L’observation de tous les jours nous révèle l’existence d’un lien étroit entre ce que les médecins appellent le physique et le moral. Les hommes voués par goût ou par profession à l’étude de la science médicale ont été particulièrement à même de constater ces rapports curieux, et parmi les travaux qu’on leur doit sur ce sujet se place un livre remarquable que tous les penseurs ont lu[1]. Malheureusement la physiologie s’est toujours vue entraînée à faire ressortir l’action du physique sur le moral plutôt que l’influence du moral sur le physique : c’est seulement en passant qu’elle signale la réaction de la partie immatérielle de notre être sur son enveloppe sensible, et cependant il existe une foule de faits, encore mal connus des médecins et totalement ignorés du vulgaire, dont la cause remonte à cet influx mystérieux de l’esprit sur le corps, de l’imagination sur les organes. Des phénomènes bizarres se sont produits sous l’empire de cette réaction; ils ont été tenus par les uns pour miraculeux, ils ont été niés par les autres comme absolument inadmissibles. Les gens crédules et les sceptiques se sont placés là, comme dans bien d’autres cas, sur un terrain tout à fait différent, et la science en a été fort souvent réduite à suspendre son arrêt, car toute conciliation était impossible entre deux affirmations opposées. C’est depuis que l’étude des maladies mentales a mieux dirigé l’attention des médecins vers les faits psychologiques, longtemps méprisés par eux, c’est alors que les obscurités ont commencé à se dissiper, et qu’une part notable a été accordée, dans certains phénomènes, dans certaines affections morbides, à l’influence du moral.

Que nous puissions contracter une maladie par un effet de la crainte excessive d’en être atteints, en vertu d’une préoccupation qui nous poursuit et nous en fait chercher sans cesse sur nous les symptômes, — c’est là un fait qui n’est pas rare et dont les praticiens pourraient nous fournir de frappans exemples. De même un mal simulé peut finir par s’emparer de celui qui feint d’en être attaqué. Des malheureux qui, pour exciter la commisération publique, se donnaient les apparences de l’épilepsie, de la folie, de l’asthme ou de maux

  1. Voyez, sur l’ouvrage de Cabanis, l’excellent travail de M. Ch. de Rémusat dans Revue du 15 octobre 1844.