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n’est pas sans quelque ressemblance avec les idées des millénaires et des mormons[1]. Elle protestait pourtant de son attachement à la sainte église, de son respect pour le corps des pasteurs unis au pape. Elle frisait l’hérésie, et dans la crainte de l’anathème elle s’efforçait d’éloigner toute accusation d’hétérodoxie. C’est cette crainte qui a frappé de stérilité, au sein du catholicisme, les germes dont sont sorties dans les pays protestans tant de confessions et de sectes. Ne pouvant donner un libre cours à leurs rêveries et à leurs utopies religieuses, beaucoup de catholiques ont tourné vers le mysticisme l’activité de leur imagination, enchaînée par l’autorité sévère de l’orthodoxie. Comme l’église laisse un libre cours à l’amour divin et n’assigne aucune forme déterminée à la vie dévote et contemplative, les fidèles chez lesquels déborde le sentiment religieux, et qui l’associent à un besoin de nouveautés, se sont rejetés sur les rêveries mystiques, et ont imposé sous forme de règles monacales les idées qu’ils ne pouvaient prêcher comme articles de foi. C’est ce qui explique pourquoi les aberrations dont nous cherchons ici à indiquer le vrai caractère ne se montrent que chez les catholiques; chez les réformés, elles sont en effet d’un autre genre. Ceux-ci cherchent l’inspiration de là vérité divine dans une méditation nouvelle des livres saints; ceux-là travaillent à pénétrer dans les profondeurs de la volonté de Dieu par un commerce secret avec lui. Toutefois les deux écoles se rencontrent en certains points, et tandis que quelques sectes protestantes, telles que les swedenborgiens, sont sur la limite du mysticisme catholique, d’autres, et les rêveurs groupés autour de Mlle Brohon furent du nombre, sont sur la limite du sectarisme protestant. Comme cette visionnaire n’épargnait pas le clergé dans ses écrits, elle finit par ameuter contre elle tous les bons catholiques. Il en fut de même de Suzanne Labrousse, qui chercha à renouveler avec quelques variantes, peu d’années avant la révolution, la doctrine des victimes, et compta parmi ses dupes le fameux dom Gerle, prieur des chartreux de Vauclaire, et Ponthard, évêque de Périgueux.

En France, le refroidissement des croyances explique comment, depuis le dernier siècle, le mysticisme extatique devient un phénomène de plus en plus rare ; mais dans les contrées au contraire où la foi catholique est restée pleine de ferveur, ces aberrations se produisent encore à des intervalles peu éloignés. En Bavière, dans le Tyrol, sur les bords du Rhin, le mysticisme catholique est très florissant. L’esprit allemand est porté à la contemplation et à l’illuminisme. Plus qu’aucun autre, quand la voie des sectes nouvelles lui est interdite, il doit se précipiter dans les étranges imaginations qui ont eu pour dernier fruit les stigmates. Aussi dans ce siècle, ou à la

  1. Voyez sur les Mormons, la Revue du 1er septembre 1853.