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districts qu’ils ont visités! « Clerkenwell, dit un journal de Londres cité par M. Vanderkiste, c’est le district de la fange, de l’ignorance et du vice; ses défilés ne sont connus que du policeman déguisé, lorsqu’il se faufile par des escaliers disjoints et brisés jusqu’au repaire du voleur nocturne, ou du pauvre et doux missionnaire de la Cité, en habit râpé, agenouillé à minuit devant la paille infecte sur laquelle repose quelque paria agonisant. » Immondes sont les rues de ce district, immondes aussi les habitans et les habitations. Une fois, une fosse d’aisances qui se trouvait dans White-Horse-Court se brisa et resta longtemps sans réparation; quelques jours après, le typhus exerçait ses ravages dans tout le quartier. Ce ne sont là néanmoins que des accidens. Quant aux ordures permanentes au milieu desquelles croupissent des milliers d’hommes, on peut en avoir une idée par ces mots de notre missionnaire : « Les punaises, les puces et tous les autres genres de vermine y abondent et m’ont terriblement tourmenté. J’ai été forcé de soumettre mes habits à un examen quotidien, et souvent, lorsque je faisais mes visites dans la nuit, j’ai vu des régimens de punaises courir sur mes habits et mon chapeau. Les exhalaisons étaient souvent si fétides, que ma bouche se remplissait de salive et que j’étais forcé de me retirer. »

Les mœurs des habitans sont à l’unisson de la scène où se joue le sordide drame de leur vie. Parfois les Irlandais se ruent les uns sur les autres et se massacrent. Quatre femmes s’unissent pour en battre une seule, et la laissent presque morte. Une femme envoie à une autre sur le point d’accoucher un violent coup de pied dans le ventre. Des bambins à peine sortis de la mamelle volent, crochètent des portes, prennent leur part d’une expédition nocturne ou d’un assassinat. Les plus paisibles de ces malheureux trompent les angoisses de la faim dans d’horribles tavernes, en se répétant ce bel axiome : Une goutte de gin vous rend tout joyeux ! — Des mères apprennent à leurs enfans à blasphémer ou à prononcer des paroles obscènes, en menaçant de les battre s’ils n’obéissent pas. Les boutiquiers se plaignent que le commerce est presque impossible, tant les polissons déguenillés du quartier prennent plaisir à pratiquer l’éducation Spartiate, qui permettait aux enfans de voler, pourvu qu’ils ne se laissassent pas surprendre. Tous, voleurs ou mendians honnêtes, meurent de faim, couchent sur la paille et vont à peu près nus. « Visitant une famille dans Frying-Pan-Alley, je trouvai le mari, qui depuis longtemps était sans ouvrage, mâchant quelque chose de noir. Je lui demandai ce que cela était; il sembla répugner à me le dire, mais je le pressai, et il m’avoua que c’était un os qu’il avait trouvé dans un tas d’ordures et qu’il avait fait passer au feu. Ces gens crevaient littéralement de faim; ils n’avaient pas mangé depuis deux jours. Je leur