Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des conspirateurs, avait bien choisi son émissaire. Un plus prudent aurait moins risqué d’être découvert, mais, une fois pris, il n’aurait pas hésité à livrer le message pour sauver sa vie. Lazzarino était capable de crier à tue-tête qu’il portait avec lui une conspiration ; mais cela une fois annoncé à l’univers, rien n’aurait pu lui arracher son message. « L’homme est un animal divers et ondoyant, » disait Montaigne ; la sagesse n’est pas toujours le partage des courageux, ni le courage le partage des sages. »

Le message contenait différentes lettres pour Gênes, Turin, etc., avec le plan détaillé et minutieux de cette fameuse société secrète qui fut plus tard connue sous le nom de la Jeune-Italie, et une lettre adressée aux deux frères Benoni, dans laquelle Fantasio leur faisait part de ses idées politiques sur la régénération de l’Italie. Selon Fantasio, l’édifice de juillet menaçait ruine, et ne tarderait pas à crouler. Il fallait donc être prêt pour le moment où l’Europe serait de nouveau en combustion. Il n’y avait plus rien à faire avec le carbonarisme ; sa prudence pédantesque, son dédain pour la jeunesse n’étaient plus de saison. Les sociétés secrètes formées jusqu’alors, et qui se contentaient de porter pour devise le mot liberté sans autre affirmation plus précise, étaient désormais condamnées à l’impuissance, et cesseraient bientôt d’exister. Si la nouvelle société dont il leur confiait la fondation voulait vivre, il fallait qu’elle prît une devise, qu’elle formulât un credo, et ce credo, cette devise, ne pouvaient être que le mot république italienne. Il fallait se défier des erreurs et des illusions du passé. Point n’était besoin dans la nouvelle société de grands noms et de grandes influences. Des jeunes gens dévoués, prêts à mourir à chaque instant sans mot dire, suffiraient à la tâche de la régénération italienne. Puis venait un plan détaillé de la nouvelle société secrète. Elle devait se composer d’un comité central établi à Gênes, qui serait en perpétuelle communication avec le comité directeur de Marseille, — de comités provinciaux établis dans toutes les villes principales et subordonnés à l’action du pouvoir central, puis de chefs propagandistes établis dans toutes les villes inférieures, et en communication avec les comités provinciaux. Les adeptes devaient se diviser en deux classes : les simples membres et les propagandistes. Les règlemens avaient été tracés avec un soin tout à fait minutieux ; toutes les précautions avaient été si bien prises, qu’il semblait impossible que la conspiration fût jamais découverte. « Enfin, dit ironiquement Lorenzo, ce plan faisait très bien sur le papier ; restait à savoir comment il supporterait l’épreuve de la pratique. »

L’hétairie italienne est donc enfin fondée, mais dans quelles conditions désastreuses ? Une observation nous frappe surtout à la lecture des instructions de Fantasio : c’est que cette fameuse hétairie est