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vous adresser une question, monsieur, parce que je sais que vous me redresserez, si je me trompe. Lorsque je vais me coucher, je dis mes prières comme vous me l’avez ordonné, et je mets ainsi mes mains devant mes yeux (il se couvrit la figure de ses mains) ; alors je vois des choses si belles, qui ressemblent à des étincelles et qui tourbillonnent, et je voulais vous demander si cela n’était pas une image du ciel, monsieur ? » Quel peut être le sentiment qu’on éprouve lorsqu’après avoir passé plusieurs mois à catéchiser un homme, on voit que tous ses soins ont abouti à un pareil résultat ? M. Vanderkiste ne le dit pas. Il se contenta probablement de redoubler de charité ; mais si l’axiome philosophique, que la fin doit être en proportion avec les moyens, est vrai, le bon missionnaire a fait de son temps un assez triste emploi. Un autre néophyte de M. Vanderkiste, une femme, avait une manière fort originale de comprendre l’efficacité du baptême ; elle était persuadée que ce sacrement rendait les enfans plus vigoureux. Beaucoup d’entre eux ignorent réellement ce que fut Jésus-Christ, et la mission qu’il est venu remplir sur la terre. « Savez-vous qui est Jésus-Christ ? demanda M. Vanderkiste à un de ces misérables. — Oh ! monsieur, on m’a toujours dit que c’était le père de notre bon Dieu. » La conversation suivante peut aussi donner une idée de la satisfaction que M. Vanderkiste devait trouver dans l’accomplissement de ses devoirs. « M……, lui dis-je, mon ami a pris beaucoup de peine pour vous instruire ; je vais vous adresser quelques questions. Savez-vous ce qu’était Jésus-Christ ? — Non, monsieur, répondit-il après un instant de silence, c’est très difficile à dire. — Savez-vous s’il était le frère de saint Jean ? — Non, je ne le sais pas. ; — Pouvez-vous me dire ce que c’est que la Trinité ? — Non, monsieur. — Êtes-vous un pécheur ? — Oh ! certainement, monsieur, nous sommes tous des pécheurs. — Avez-vous jamais fait le mal ? — Non, je ne crois pas l’avoir jamais fait. — N’avez-vous jamais commis de péché ? — Non, je ne crois pas en avoir commis. — Mais croyez-vous que vous soyez un pécheur ? — Oh ! certainement, monsieur, nous sommes tous des pécheurs. — Qu’est-ce qu’un pécheur ? — Je ne le sais pas bien exactement, j’ai toujours eu une si pauvre tête ! » Quelquefois les réponses sont extrêmement comiques. « Pensez-vous qu’en se baignant dans le Gange, on puisse laver ses péchés ? demanda un jour le missionnaire après avoir décrit certaines fêtes hindoues à un de ses prosélytes. — Je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas, répondit-il. »

Cette stupidité à l’endroit des choses de la religion revêt deux formes principales, une niaise docilité et une indiscipline sceptique ; elle est également intense et également complète sous ces deux formes. L’habitude du prédicateur était de lire quelque chapitre de