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la Bible ou du Nouveau Testament, et puis de poser des questions pour savoir s’il avait été compris. Pendant tout le temps que durait la lecture, tous les mendians hochaient la tête, faisaient des signes approbatifs, et exprimaient leur satisfaction par quelqu’une de ces ingénieuses paroles : « Une belle histoire en vérité ! une très belle prière ! » Arrivait enfin le moment de l’examen. — Savez-vous sur quel sujet roulait la lecture ? — demandait le prédicateur. Jamais aucune réponse exacte n’était faite à cette question. Quelques-uns s’excusaient en disant qu’ils étaient trop bêtes, d’autres en disant qu’ils n’étaient pas des savans. Tous ne sont pas aussi soumis, et il se rencontre dans cette populace bon nombre d’esprits forts et de libres penseurs avancés qui se déclarent infidèles, comme on dit en Angleterre, et qui font entendre au missionnaire qu’ils en savent long, qu’ils connaissent les ruses des prêtres, et qu’ils ne sont pas venus à leur âge pour croire à tous ces charlatanismes (hunbugs). Un homme qui faisait profession d’infidélité me dit qu’il était absurde de supposer que Jésus-Christ n’avait pas eu de père, et ajouta : « Nous en savons plus long ! » — Croyez-vous qu’il y ait eu un premier homme ? demandai-je. — Certainement, répondit-il; autrement comment eût-il pu y en avoir un second ? — Dites-moi quel fut le père du premier homme ? — Oh! vous parlez d’Adam et d’Eve, me dit-il, c’était dans l’autre monde. » En lisant la description de cette stupidité désespérée, la vilaine pensée que toute cette charité n’est qu’une duperie ne vous est-elle pas venue à l’esprit ? Heureusement que cette noble vertu ne calcule pas, qu’elle est aveugle comme l’amour, et qu’elle répand ses trésors inépuisables avec une infatigable prodigalité.

Les sociétés de tempérance ne sont pas plus heureuses que les sociétés de missionnaires et n’opèrent que des conversions fort incomplètes. Il est inutile de demander si ces populations misérables sont portées à l’ivrognerie. Chaque peuple a un vice national que la nature semble avoir créé pour atténuer certaines vertus trop énergiques ou certaines facultés trop dominantes. On dirait qu’elle a eu besoin d’employer ce moyen pour maintenir l’équilibre moral entre les peuples et empêcher le despotisme des races fortes sur les races plus faibles. Qui sait en effet où serait allée l’Espagne sans la paresse ? Qui sait ce qu’eût engendré l’âme fertile, inventive, élastique de la France sans la vanité ? Qui sait de quels périls l’énergique Angleterre menacerait le monde, si l’intempérance ne mettait un frein à cette fougue calculatrice et froide et à cette absorbante activité ? Mais ces vices nationaux, qui atténuent sans les ruiner les qualités des classes cultivées, pèsent au contraire de tout leur poids sur les classes populaires et deviennent le vice dominant de leur existence,