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dès 1477, Louis XI, averti des violences de son commissaire, fort peu irrité contre lui peut-être, mais voyant les fortifications à peu près complètes et la commune rendue docile, Louis XI l’avait retiré. Aussi bien quant à Reims l’œuvre politique était faite, le populaire avait été puni dans son sang, la bourgeoisie dans sa fortune, la féodalité dans son orgueil, et de longtemps on ne devait entendre parler de jacquerie, d’indépendance fédérative, de souveraineté seigneuriale. Ce fut vers cette époque que Guillaume Coquillart entra dans la littérature.

Depuis l’instant où nous l’avons perdu de vue, en 1463, au moment où il achevait sa traduction de Flavius Josèphe, il avait grandi en influence et avait conquis la double position que lui promettaient ses qualités diverses. Jean Juvénal avait pris en affection le sage et laborieux traducteur de l’Histoire des Juifs, il l’avait nommé procureur de l’archevêché, c’est-à-dire, après le bailly, le premier des officiers temporels. En 1470, nous le voyons arriver au conseil de la ville, en suivre assidûment les séances, souvent défendant les droits de l’archevêque et toujours veillant, dans le cercle de son influence, au profit de la bonne ville. Jean Juvénal l’avait nommé en 1472 son exécuteur testamentaire, Pierre de Laval lui avait conservé sa position ; mais tout cela attira sur lui la dangereuse attention de Cochinnart. Aussi commença-t-il par le mettre, comme les grands politiques de Reims pouvaient le dire, entre l’enclume et le marteau, en le nommant un des commissaires chargés de veiller au travail des fortifications en son absence. C’était l’exposer à la haine de ses concitoyens s’il se montrait sévère, à la malveillance des officiers du roi s’il se montrait facile. Il est probable que le poète rémois préféra la malveillance de Cochinnart, car nous voyons celui-ci lui extorquer 50 écus d’or et une douzaine de fines serviettes, ce qui donne une satisfaisante idée de sa position de fortune. Pendant ce temps, Guillaume cherchait à recueillir le fruit de sa traduction de Josèphe, et nous le voyons enfin reçu docteur en décret. À partir de ce moment, la période la plus difficile du travail de sa vie était terminée, il pouvait être sûr de sa fortune, il n’avait plus qu’à attendre les récompenses. Il passait la plus grande part de ses loisirs dans la plus notable et la plus intelligente société de Reims, au milieu des chanoines et des officiers tant spirituels que temporels de l’archevêché. Dans ces réunions, on discutait toutes les conséquences de la révocation de la pragmatique sanction, on agitait toutes ces questions de réforme qui remuaient alors si profondément les esprits ; on comparait ce qui se passait avec ce qu’on avait vu au temps de la jeunesse, et rien de tout cela ne tombait en vain dans l’esprit du poète. Le temps favorable était donc venu, qui devait briser les dernières entraves de ce génie singulier, et tout se réunissait pour le pousser à la poésie qui convenait le plus à sa tournure d’esprit.

Il n’avait pu s’abandonner à son genre sarcastique et gai au milieu des douleurs de la patrie ; mais maintenant la France était redevenue riche, pleine d’aise, presque agitée déjà par cette surabondance de luxe, d’activité et de fièvre hardie qui suit toujours la paix et le bonheur. À l’abri derrière la royauté, le caractère français reparaissait, le rire revenait, non point ce rire acre et plein de malédictions qui est dans l’histoire l’écho des jours d’angoisses, mais ce rire léger qui voltige autour des ridicules. Pourtant la royauté