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hasard puisse mettre aux amourettes pour en relever la saveur. Aussi le dieu est-il entouré d’une suite nombreuse ; tous ses jeunes vassaux, les mignons, fils des grands marchands de la cité rémoise, les bustarins, élégans des petits métiers, les rustarins, verts galans de campagne, tous se pressent autour de lui. Ils se promènent en pourpoints de satin, cheveux longs, perruques de prix, et les flûtes, les rebecs, les tabourins vont donner le signal du train, du petit-rouen, de tous les branles et de toutes les basses danses. À côté d’eux sont les dames de pensées amoureuses.

Si cointes, si polies, si frisques.
Si pleines de doulces amours.
Si propres pour trouver replicques.
Si promptes pour donner secours.
Si humaines à gens de cour.

Chacun rit, raille, conte sornettes ; chacun raconte les merveilleuses aventures de Gaultier et de Michelet, ces types gaillards, ces don Juan des classes marchandes : c’est un cliquetis de médisances ; chacun discute les causes, droits et devoirs d’amour, chacun se vante et chacun coquette. Le palais du dieu est plein, les portes mêmes sont encombrées par un nombre infini de galantins qui se pressent d’arriver dans le temple, et le poète satirique nous montre à l’arrière-plan, où nous ne le suivrons pas, les lits parés, les parquets d’herbes vertes, tandis que les plus réservées de ces honnêtes dames montent en quelque tournelle pour y visiter la lingerie de la famille.

Puis, quand il a ainsi dépeint le temple et l’idole, quand il a esquissé la scène générale et bâti le théâtre, Coquillart amène les personnages divers, toute la troupe des joyeux et dévergondés enfans de la corruption nouvelle, les verts galans, les femmes folles ; il dramatise les commérages, analyse les anecdotes scandaleuses, enfin il va faire passer sur ce théâtre presque toute la ville de Reims.

Maintenant tout est préparé. Le poète se lève alors. Pour faire courtoisie à sa poésie et aux auditeurs, il a revêtu sa belle chape d’honneur, son bonnet rond de docteur, qui n’étaient point faits pour se trouver à telle aubade ; puis il emprunte tout ce qui sonne bonheur et plaisir, tout ce qui dans la bonne ville porte au loin la fête de l’air, les annonces joyeuses, la promesse des journées sans travail ; il appelle à lui les sonneries de la Saint-Jean, le son des trompes royales ou communales annonçant les entrées de roi, les farces et les mystères, enfin toutes les cloches fériales, les tambourins des jongleurs et les violes des ménétriers. Il se tourne aux quatre coins de l’horizon ; il convoque tout ce monde qui ne pense plus à Dieu, tout ce qui veut rire dans la ville satirique et brutale, dans la Champagne au vin léger, aux têtes folles, aux paroles libres : bonshommes de Reims, gens épicés ; gascons de Vitry, bragards de Saint-Dizier, gouailleurs d’Avize ; vous, glorieux de Laon, chats de Meaux, coqs de Dormant, vivans de Nogent ; vous aussi, lourdauds de Châlons, dormeurs de Compiègne, venez, venez tous, le rire va commencer, les bras vont se déraidir, les fronts vont se dérider ; le vieux poète va chanter les saturnales de la bourgeoisie. Ce que valent de tels chants, vos filles le montreront à vos gendres, et vos petits-fils le sauront au siècle suivant dans les guerres civiles ; vous, riez, sautez, dansez, accourez tous :