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craignait-il de faire fuir ses auditeurs et de ne pouvoir ainsi faire parvenir jusqu’à eux le petit nombre de vérités qu’il veut leur dire. Peut-être aussi ne pensait-il à rien de tout cela et suivait-il seulement cette loi de l’age quod agis, qui paraît avoir été la grande règle de conduite du moyen âge : consciencieux, réguliers et naïfs, les gens de ce temps laissaient la morale aux prédicateurs, la gravité aux affaires ; la joie simple et emportée aux fêtes et aux contes, sans trop penser que les souvenirs des contes peuvent bien parfois s’introduire au foyer domestique. Coquillart est ainsi un poète réaliste, il fait parler à chacun de ses personnages son langage particulier, et il parle aux gens de son temps le langage qu’ils veulent entendre, sans se préoccuper de savoir si ce langage est cynique.

En somme, il n’y a dans le poète rémois que l’art et la méthode qui soient condamnables, et nous avons vu que cet art, descendant de la tradition des trouvères, lui avait été imposé, non par sa vie, mais par le génie de la ville de Reims. Cette littérature des jongleurs avait été, dès le commencement, la littérature des vilains mise en regard de la littérature chevaleresque ; elle avait toujours eu pour principes fondamentaux la plus grossière franchise et le mépris de la femme. Au XVe siècle, ces défauts s’étaient accrus ; la guerre avait ravivé la brutalité, et le cynisme avait atteint ses dernières limites. Cette grâce dont les romans de chevalerie avaient entouré la damoiselle avait disparu, mais elle n’était pas encore remplacée par ce respect de convention que la femme, armée de coquetterie et appuyée sur la poésie langoureuse, arrachera au monde moderne. Le XVe siècle est un siècle de transition, et la femme entre le respect qu’elle n’inspire plus et l’adoration qu’elle n’a pas encore su faire naître, la femme était placée par la littérature dans une position humiliante et équivoque.

Ainsi Coquillart, ennemi par sa position de la poésie chevaleresque, disciple d’une école hostile à la littérature, platement galante et hypocritement réservée, des cours d’amour, hostile aussi à cette autre école littéraire, l’école du clergé, vraiment morale sans doute, mais insipide et inaccessible au peuple, Coquillart devait nécessairement être un écrivain grossier et cynique. Il devait opposer l’amour matériel aux gracieuses et menteuses poésies du temps passé ; il devait en arriver où il en est venu, à traiter les femmes comme des êtres sans conscience morale. Il ne faut pas oublier non plus que la littérature ne se mêlait pas alors à la vie : c’était une chose de pur loisir en dehors de la vie intime, des devoirs et des affaires.

Il faut conclure de tout cela que de tels écrits indiquent une société étrangement corrompue, et chez le poète une absence de réflexion, un manque de logique, mais non le libertinage précisément. Coquillart n’était pas un débauché, il n’était qu’un bourgeois faisant de la littérature, un bourgeois qui était entré trop tard dans l’état ecclésiastique pour avoir pu changer sa doctrine littéraire et les habitudes de son esprit. Après tout, s’il se laisse souvent emporter par l’entraînement de l’esprit et le besoin de la plaisanterie, il y a aussi dans ses portraits une singulière puissance de satire et de correction. Il fut sans doute pour beaucoup dans les lois somptuaires qui signalèrent la fin du siècle, et bien des infamies que les chastes leçons de l’église ne pouvaient atteindre, bien des corruptions que les larmes maternelles ne