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observations particulières : il ne recevait que les images des objets extérieurs, il ne voyait que les manières, les étoffes, la toilette, dont il est resté un des plus utiles historiens ; mais ces images, il les recevait avec une telle impétuosité, une telle couleur, qu’il se hâtait de les fixer sur le papier, comme s’il eût craint de les voir déjà parties ou bientôt décolorées. C’est ainsi qu’il est entré dans la littérature avec sa vie tout entière, ses habitudes et son métier. La poésie de Coquillart est donc comme le journal de la ville de Reims au XVe siècle. Nous ne pouvons retrouver sans doute les allusions ni les origines de tous ces commérages qui naissaient dans les fêtes : tout cet esprit ne nous arrive plus que comme l’écho d’un éclat de joie lointaine ; mais qu’il soit aiguisé comme le sourire, entraînant comme le rire à gorge déployée, il paraît toujours le résumé des réunions de ces fins et gaillards esprits de la classe moyenne décidés à s’amuser aux dépens de tout, sans autre méchante excitation que le vin léger de la Champagne.

Ne semble-t-il pas aussi que dans ce style, où les mots sont si vifs, si sonores, d’une sonorité si joyeuse et plaisante, on entende le bruit de ces mille clochettes des moutiers de Reims, le clapotement de toutes ces langues médisantes, les échos de tous ces caquets où les bons mots, les éclats de rire, les tournures alertes jouent tout le rôle aux dépens des idées, de la réflexion, de la morale ? Ces inversions, cette absence de transitions que nous avons remarquées n’étaient pas dues seulement à la nature du poète, elles venaient aussi de cette habitude où est le populaire de dédaigner, par amour de la rapidité, les tournures et les mots qui donnent à une phrase une apparence plus logique et plus philosophique, mais qui sont rigoureusement inutiles à l’intelligence de cette phrase. Cette agglomération de synonymes, de mots courts, qui permettait au lecteur de voir facilement et sans travail plusieurs faces de la même idée, qui lui servait la pensée toute délayée et comme à plusieurs gorgées, cette méthode portait bien encore la trace d’une origine bourgeoise. Elle préférait l’analyse à la généralisation ; au lieu de s’imposer, comme le style de notre époque, par la puissance d’une image qui forme comme un foyer de lumière, elle procédait par une série d’étincelles, et c’était bien le style qui convenait à l’observateur des petits faits, des mille aventures de la vie vulgaire. De plus cette manière de présenter ainsi toutes les facettes de son sujet, d’amener cette série de synonymes qui semble se défier de l’intelligence de l’auditeur, et lui chercher, comme pour un enfant, des chances diverses de frapper son imagination, cette manière était évidemment imposée par ces auditeurs de la bourgeoisie, gens de travail corporel, plus habiles à saisir un fait par son apparence que par ses conséquences philosophiques, plus habitués à regarder ce fait qu’à l’approfondir, plus accoutumés enfin à énumérer les petites lueurs qui en sortent qu’à le résumer. On retrouve facilement aussi à quels auditeurs, à quels admirateurs s’adressaient ces remarques moitié naïves, moitié malicieuses, appuyant un peu lourdement sur des détails qui pouvaient être insignifians pour des esprits distingués, mais qui provoquaient une joie profonde et soulevaient des murmures flatteurs chez ces simples et faciles esprits enchantés de retrouver si superbement enchâssés leurs bons mots de tous les jours. Toutes les comparaisons de Coquillart sont tirées de la vie vulgaire, du mécanisme des métiers, de la partie technique de la