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et des dangers de tout genre, vers la plus noble et la plus légitime des conquêtes, celle de la liberté et de l’indépendance ; mais si de la contemplation de cet ensemble vous descendez aux détails, adieu la poésie et salut à la très plate prose ! Que d’égoïsme et que de petitesses embarrassent les fils de ce mécanisme compliqué !

«Véritablement, je vous l’assure, le sentier d’un conspirateur n’est pas semé de roses, surtout quand il s’agit de conspirateurs placés dans notre situation, c’est-à-dire connus de tout le monde et accessibles à un chacun. Je ne connais pas d’existence qui demande une abnégation et une patience plus continuelles. Il faut qu’un conspirateur prête l’oreille à toute sorte de bavardages, caresse toutes les variétés de vanités, discute sérieusement des sottises : malade à n’en pouvoir plus, oppressé qu’il est par tant de commérages vides de sens, de vanteries ineptes et de vulgarité, il faut qu’il garde un maintien complaisant et placide. Un conspirateur cesse de s’appartenir à lui-même, et devient le jouet de tous ceux qu’il rencontre ; il faut qu’il sorte lorsqu’il aimerait mieux rester chez lui, qu’il reste lorsqu’il préférerait sortir, qu’il parle lorsqu’il désirerait garder le silence, et qu’il veille lorsqu’il aimerait à dormir. Véritablement c’est une misérable vie. Elle a, il est vrai, quelques joies rares, mais douces, les relations occasionnelles avec des esprits élevés et des âmes dévouées, et la conviction que toutes ces peines et tous ces tracas abrègent pied à pied la route qui conduit à une fin noble et sacrée

« Ceux qui parlent de sociétés secrètes organisées de manière à rendre toute découverte impossible disent des sottises. Les sociétés secrètes impossibles à découvrir n’existent que dans l’imagination de quelques personnes crédules à l’excès. Ces sociétés-là ressemblent aux armées qui n’existent que sur le papier, et qui par conséquent ne courent aucun risque d’être battues. Une association qui comprend un grand nombre de membres et qui s’agite est une mine toujours sur le point de sauter. Dans ses rangs se trouvent des vantards, des fanatiques, des imprudens, qui sont par eux-mêmes un véritable danger, — et telle est la nature humaine, que même parmi les membres les plus disposés à la prudence, l’impunité finit par engendrer une fausse sécurité qui conduit à la ruine. Les conspirateurs peuvent être assimilés aux hommes qui travaillent avec des matériaux inflammables. D’abord ils s’entourent de toutes les précautions possibles ; mais bientôt et par degrés insensibles, ils négligent un jour une bagatelle, un autre jour une autre, jusqu’à ce qu’ils se soient familiarisés avec le danger, et à la longue, voyant que les matières inflammables n’ont pas encore fait explosion, ils finissent par s’imaginer qu’elles n’éclateront jamais. »


Quel malheur que toutes ces réflexions ne se présentent à l’esprit qu’après l’expérience faite, et lorsque tout est consommé et irréparable ! Au moment même où le comité central de Gênes envoyait des émissaires en Piémont, afin de savoir si tout était mûr pour une insurrection, la bombe éclata. Les comités provinciaux demandaient du temps, les réponses étaient indécises, et le comité-directeur en fut réduit à adopter à une faible majorité un ajournement de deux mois ; mais le hasard et la fatalité ne s’ajournent pas. Deux sergens du